Chronique éco/ Benmeradi, le chewing-gum et les « 30 milliards de dollars d’importations » 

Redaction

Le ministre du Commerce, Mohamed Benmeradi, et ses collaborateurs se livrent depuis quelques mois  à un véritable forcing médiatique pour tenter de «vendre» une politique de réduction brutale des importations dont le seul effet tangible serait de créer, dans notre pays, une véritable «économie de pénurie».

Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre du Commerce a encore expliqué son projet à la fois aux députés de la commission des finances et à l’agence officielle APS . C’est ainsi qu’on apprend que « Mohamed Benmeradi, a annoncé jeudi à Alger que le ministère du Commerce tend à réduire les importations à 41 milliards de dollars à la fin de l’année et à 30 milliards de dollars en 2018, et ce, dans le cadre de la politique du secteur visant à protéger la production nationale».

La faute au chewing-gum

Selon le ministre, l’importation de certains produits sera «suspendue complètement et définitivement». Il s’agit de «certains produits de luxe qui alourdissent la facture des produits importés», à l’instar des « graines de tournesol » dont la valeur d’importation a atteint 25 millions de dollars, de la « mayonnaise » (20 millions de dollars) et du  « chewing-gum » (25 millions de dollars) .

La mayonnaise et le chewing-gum sont donc des produits de luxe pour les fonctionnaires du ministère du Commerce qui ne nous expliquent pas par quel miracle ils comptent réduire la facture d’importation de 15 milliards de dollars, pour la faire passer de 45 milliards de dollars cette année à 30 milliards l’année prochaine, en interdisant l’importation de trois produits dont le facture globale ne dépasse pas 70 millions de dollars.

La «fiction» des importations en baisse en 2017

Apparemment, les fonctionnaires du ministère du Commerce ne savent pas compter. On le soupçonnait déjà, à entendre depuis plusieurs mois M.Benmeradi annoncer des importations en forte baisse dès cette année à «40 ou 41 milliards de dollars». Le ministre a encore essayé de vendre cette «fiction» aux députés à la fin de la semaine dernière. En fait, tous les spécialistes savent très bien et l’annoncent depuis maintenant plusieurs mois : les importations ne baisseront pas au dessous de 45 milliards de dollars en 2017, et la politique des licences d’importation a été un échec contrairement à ce que cherchent à nous faire croire les fonctionnaires du ministère du Commerce.

Le «triste épisode» des licences d’importations

Dans une contribution récente, le spécialiste algérien du commerce extérieur, Mouloud Hedir, dressait un véritable réquisitoire contre ce qu’il qualifie de «triste épisode» des licences d’importation que les autorités économiques ont choisi de mettre en place depuis le début de l’année 2016.

Pour l’expert algérien, le régime actuel des licences, qui n’a pas été capable de réduire significativement les importations, pèche globalement par de très nombreuses insuffisances. Il critique une démarche caractérisée d’abord par «son mauvais calibrage et par le manque de clarté quant à ses objectifs» ainsi qu’«une forme d’improvisation» qui n’aide pas à donner de la visibilité et de l’efficacité aux mesures prises. Un grand nombre des restrictions envisagées (bananes, ketchup, préparations alimentaires, etc) sont en outre, selon l’expert algérien, «sans relation aucune avec l’objectif d’une réduction significative des importations». Mouloud Hedir ne savait pas encore que le ministère préparait une arme fatale avec l’interdiction de l’importation du chewing-gum.

Une «économie de pénurie» pour quoi faire ?

Les dernières statistiques de notre commerce extérieur indiquent que le déficit commercial de l’Algérie a déjà été réduit de moitié au cours des neuf premiers mois de l’année en cours. Non pas à cause de la réduction des importations, qui sont restées à peu près stables depuis un an, mais en raison du redressement des cours pétroliers depuis décembre 2016. A ce rythme, il est très probable que notre déficit commercial qui était encore de près de 18 milliards de dollars en 2016, devrait se situer aux alentours de 10 milliards de dollars en 2017.

Pas besoin donc de contingentement et de licences généralisées qui vont s’attaquer inutilement  aux importations de chocolat et de  bananes. Le rétablissement de l’équilibre de la balance commerciale est possible et même désormais très probable dès 2019-2020 en raison de l’entrée en production de plusieurs grands projets industriels (sidérurgie, phosphates et textiles notamment) qui vont réduire significativement les importations, et sans recourir à des mesures dignes d’une «économie de pénurie» que semble préparer la fuite en avant dans le contingentement des importations proposée par les bureaucrates impénitents du ministère du Commerce.

Traitement économique ou régulation administrative ?

Face  à l’augmentation des importations, le gouvernement algérien a fait le choix, depuis 18 mois, de recourir à des solutions administratives disponibles à court terme  mais dont l’efficacité se révèle incertaine et les inconvénients apparaîtront de plus en plus nombreux au fil du temps. La période la plus récente a été marquée par les réactions d’un certain nombre d’agents économiques qui ont affiché clairement leur défiance vis-à-vis des solutions administratives et plaident en faveur d’un traitement économique de l’envolée des importations. La plupart d’entre eux  expriment leur scepticisme à propos des décisions administratives, licences et autres interdictions, en soulignant qu’une modulation des droits de douane et des taux de TVA seraient l’option la plus appropriée  pour orienter la consommation vers la production nationale et décourager l’importation de produits de luxe ou jugés «superflus».

Plus généralement l’expérience des trois dernières années suggère fortement que le simple ajustement régulier du taux de change, tel qu’il a été opéré entre fin 2014 et juin 2016,  est  sans doute suffisant pour obtenir la réduction souhaitée des importations. A contrario,  la stabilisation relative du taux de change du dinar, mise en œuvre par les autorités financières algériennes depuis une année, constitue un encouragement à l’importation et  contribue à accentuer encore davantage le déséquilibre commercial. Le retours à une gestion économique du commerce extérieur national est à terme inévitable. Entre-temps, l’impasse bureaucratique des licences d’importations dans laquelle les fonctionnaires du ministère du Commerce s’obstinent à vouloir enfoncer notre pays aura sans doute fait beaucoup de dégâts.

Au fait, il y a une économie qu’on pourrait peut être faire très rapidement, c’est celle des salaires, avantages et autres frais de mission, qui sont versés à M. Benmeradi et à ses collaborateurs pour concevoir des projets dignes de la Corée du Nord et du Venezuela.

Yazid Taleb

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