Daech et ses 30 millions d’amis Par Abdou Semmar

Redaction

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Pas d’amalgame. La religion n’incite jamais à la violence. Le terrorisme n’entretient aucun rapport avec l’Islam et le Coran. Daech ? C’est une invention du Mossad, de la CIA. Non plutôt des extraterrestres qui veulent du mal aux bons et géniaux musulmans. A chaque meurtre, à chaque attentat sanglant, à chaque massacre, nous entendons ces éternelles réactions. Les postures divergent, mais les attitudes demeurent les mêmes : une fuite en avant. Une déresponsabilisation collective et une théorie du complot érigée en un refuge douillet pour tous les musulmans.

Ce n’est jamais de notre faute. C’est toujours de la faute de l’autre. L’Occidental surtout. C’est lui qui a créé Israël. C’est lui qui nourrit le fanatisme. C’est lui qui alimente l’intégrisme. A chaque massacre, à chaque carnage, toujours ce discours qui revient en force, s’impose. Et pourtant, rien de cela n’est vrai dans la réalité. Que notre Coran soit noble, pur et exceptionnellement tolérant est une évidence. Que l’Islam soit souillé par cette barbarie qui lui est étrangère est une autre lapalissade. Ces vérités universelles ne suscitent, par ailleurs, aucun débat.

Mais excuser tous les musulmans, leur pardonner leurs incuries, leur incapacité à se remettre en cause, leur manque de courage pour questionner leurs certitudes, leur cruel manque de discernement face au conservatisme fanatique qui mine leurs sociétés, c’est faire preuve d’une malhonnêteté consternante. Parce que le problème est d’abord en nous et non pas chez ces «impies» que nous diabolisons sans cesse.

Prenons le cas de notre propre pays, l’Algérie. Nos compatriotes s’enferment depuis de longues années dans un conservatisme inquisiteur qui fait le nid de extrémisme religieux. Un conservatisme abject qui structure mentalement le citoyen et le prédispose à accepter psychiquement les idées macabres du terrorisme. Comment peut-on espérer lutter contre la violence de Daech lorsque chaque soir, sur nos télévisions privées, on s’extasie devant des caméras cachées qui miment des prises d’otages terroristes ? Comment éduquer nos enfants, les former contre l’extrémisme et le fondamentalisme lorsque sur les plateaux d’Echorouk et d’Ennahar, des partisans du terrorisme assument ouvertement leurs crimes et leurs idées meurtrières ?

Comment donner naissance à un citoyen musulman, épanoui et en paix avec sa foi, lorsqu’un pseudo journaliste fanatique tel Abdelmounaïm Chittour sévit, dans une totale impunité, dans la rédaction d’une chaîne de télévision pour appeler à la haine contre les laïcs, des chiites, des musulmans modérés, des croyants non-pratiquants et ceux et celles qui ne partagent pas sa conception d’un monde musulman dogmatique ? Quelle force, quel projet allons-nous opposer à Daech lorsque des jeunes manifestent dans les rues de notre capitale pour qualifier les frères Kouachi, des criminels en puissance, de martyrs ?

Peut-on lutter contre Daech et sa barbarie avec le charlatanisme de Cheikh Belahmar ou le populo-intégrisme de Cheikh Chemssou ? Depuis l’avènement de ces prédicteurs de pacotille, la spiritualité de nos jeunes se dissout dangereusement dans l’eau impure des idées archaïques et simplistes. Et pourtant, la religion n’est pas une blague. Elle est est une élévation de l’esprit, un souffle d’intelligence. La religion est raison. Et sans raison pas de spiritualité. Mais qui d’entre nous arrive à ce stade de la compréhension ? Qui d’entre nous ose dire non à cet islam folklorique que nous inculquent les mosquées salafistes, les médias obscurantistes et les charlatans d’opérette ?

Ces derniers se sont substitués à l’école. Une école sous forme, entre autres, de pages Facebook conservatrices qui lancent des campagnes du genre «Sois un homme et ne laisse pas ta femme sortir sans voile». Des pages qui insultent, profèrent des menaces de mort contre ceux et celles qui ont une autre vision de l’islam, de la femme, de la sexualité et du vivre-ensemble. Quelle est la différence entre un terroriste de Daech et ces jeunes qui veulent voiler de force toutes les femmes à défaut de pouvoir les violer ? Ces jeunes qui arrachent les jupes des femmes dans  les rues parce qu’elles n’incarnent pas leur modèle de vraie musulmane ? Quelle est la différence entre un terroriste de Daech et ces médias qui consacrent leurs Une à la haine contre les homosexuels, les athées, les non-jeûneurs ? Quelle est la différence entre un terroriste de Daech et ce Abdelmounaïm Chittour qui pollue Facebook et les plateaux de télévisions avec ses appels à la haine et ses justifications permanentes des meurtres commis à l’encontre des  chiites, les dessinateurs de Charlie Hebdo, les séculiers de son pays, les femmes habillées en jupes, etc. ? Aucune. Excepté que les terroristes de Daech ont d’ores et déjà leurs Kalachnikovs en main et les seconds se préparent à le faire…

Et pendant ce temps, Hamid Grine, ministre de la Communication, poursuit son périple à travers le pays en nous donnant des leçons de déontologie. Et la sienne, où est-elle? Que fait-il face à la propagande terroriste des médias qui ont soutenu le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika ? Et pendant ce temps, Hamadache, le leader salafiste, se promène tranquillement dans les studios et les rues de notre pays, appelant à l’ouverture d’une représentation diplomatique de Daech à Alger. Pendant ce temps, nos élites frileuses et timorées culpabilisent l’Occident et refusent de réfléchir sur cette responsabilité collective à même de nous permettre d’agir contre les causes du terrorisme aveugle.  La société est déjà divisée entre les conservateurs fanatiques qui pardonnent tout à leurs amis de Daech et les progressistes démissionnaires qui rechignent à prendre le taureau par les cornes.  Pour stopper la terreur, il va bien falloir affronter intellectuellement les «amis de Daech» avant qu’il ne soit déjà un peu tard. Mais tout de même avant que leur nombre n’atteigne les 30 millions…