Indignez vous ! s’est écrié Miloud Brahimi , ancien Président de la Ligue algérienne des droits de l’homme et avocat d’un des prévenus dans l’affaire Sonatrach 1, à l’adresse des magistrats.
Il faut dire qu’il y a de quoi. Si on en croit les avocats dans les différentes affaires appelées à être jugées au cours du forcing juridique organisé ce printemps , l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique est en passe d’atteindre des sommets dans notre pays. C’est un autre avocat célèbre, Me Khaled Bourayou , qui le rappelle « On a programmé trois grands procès en l’espace d’un mois et demi après avoir cumulé près de quinze ans d’instruction . On a l’impression qu’on veut programmer ces affaires selon un calendrier qui sert le pouvoir. Un calendrier à travers lequel on veut montrer que le pouvoir est en train de mener une lutte implacable contre la corruption »
La Justice spectacle est une justice politique
Mais pourquoi maintenant peut –on se demander ? Pour Miloud Brahimi les « campagnes » de lutte contre la corruption , qui se déroulent dans notre pays au rythme d’environ une tous les 10 ans, permettent périodiquement au système politique algérien de gérer les hommes et les intérêts dans le cadre d’une « justice spectacle » dont il dénonce une nouvelle manifestation dans les procès Sonatrach 1 , de l’autoroute Est –Ouest et bientôt Khalifa. La justice spectacle ignore les principes ,reconnus constitutionnellement, d’indépendance De l’instance judiciaire , c’est une justice pilotée par le pouvoir politique . Son agenda et ses objectifs sont de nature politique.
L’impossible « grand déballage »
Si la justice spectacle n’est donc en réalité que l’intrusion de la politique dans l’administration de la justice ,dans le contexte algérien ,elle a une caractéristique essentielle que beaucoup d’observateurs ont de nouveau relevé au cours des derniers jours .Elle ne remonte presque jamais ,sauf exception très rare, au sommet de la chaine de décision et a une forte propension à poursuivre et condamner des « lampistes » en épargnant les vrais coupables ; en particulier lorsqu’il s’agit de responsables politiques. On l’a vu en 2007 dans la première version du procès Khalifa qui a débouché de façon scandaleuse sur la condamnation des frères Keramane qui avaient pour seul tort d’avoir soutenu la candidature d’Ali Benflis à la présidence de la République .Le retours de l’Affaire Khalifa sur le devant de la scène juridique et médiatique est prévu pour le 4 mai prochain. La presse annonce ces jours ci ,à cette occasion , un possible « grand déballage » et la mise en cause de hautes personnalités du gouvernement et de l’Etat .Faut pas rêver , la justice spectacle poursuit exactement l’objectif inverse .Elle a pour fonction de liquider les dossiers les plus encombrants en épargnant les hommes forts du moment .On devrait le voir également avec l’affaire de l’Autoroute Est-Ouest , quand elle sera jugée ,dans laquelle tout a été fait pour qu’elle soit le procès de la fonction d’intermédiaire et pas celle du versement de rétro commissions à des responsables économiques ou politiques .
La lutte contre la corruption : Un combat de tous les jours
Ce que nos meilleurs avocats sont en train de nous expliquer c’est que la « justice spectacle », qu’ils dénoncent avec vigueur, n’est pas la bonne façon de lutter contre la corruption et que cette dernière est un combat de tous les jours. D’accord, mais alors comment étancher une soif de « justice » des citoyens nourrie par des années d’attente ? C’est Miloud Brahimi qui répond : « on ne peut pas lutter contre la corruption en faisant passer quelques dossiers devant une opinion publique, « chauffée à blanc » .Il faut faire en sorte que ce type de procès n’existe plus. Au lieu que d’attendre que les choses s’accumulent pour faire un procès gigantesque, il aurait fallu gérer les dossiers de corruption au jour le jour ».
Un dommage collatéral, la violation des libertés individuelles
Si elle correspond à un calendrier et poursuit des objectifs essentiellement politique, la justice spectacle provoque également des dommages collatéraux qui ne sont pas forcement recherchés par les organisateurs. Le premier de ces dommages est la violation des libertés individuelles et des droits des accusés. Dans les 2 affaires Sonatrach 1et de l’autoroute Est- Ouest , le procès a finalement été ajourné à une prochaine session criminelle dont la date est indéterminée selon les avocats de la défense .les accusés vont rester en prison. Inculpés pour des faits de corruption, entre autres charges, ils sont en détention depuis un peu plus de 5 ans. Me Miloud Brahimi commente « J’ai fait des études de droit, j’ai pratiqué et enseigné le droit. C’est la première fois de ma vie que je suis en face d’une détention dite préventive aussi prolongée. N’ayons pas peur des mots, c’est une véritable condamnation préventive ».L’avocat algérien souligne que la procédure de la détention préventive a bien été respectée mais, ajout-t-il , « la Constitution a été gravement violée car la Loi suprême du pays pose le principe universel de la présomption d’innocence ».
Pénalisation de l’acte de gestion et « justice spectacle »
C’est un autre dommage collatéral de la justice politique .Miloud Brahimi décrit un monde des gestionnaires du secteur public « terrorisé »par les lois en vigueur qui continuent de pénaliser l’acte de gestion. Cette dernière constitue dans le contexte algérien la « forme archaique du délit politique ». Maitre Brahimi ,qui s’est retiré des groupes de travail constitué depuis 2011 pour réformer les textes en vigueur, observe avec scepticisme l’évolution des réunions qui continuent d’associer sur ce thème des hauts fonctionnaires des ministères économiques et de la justice sans déboucher sur des résultats concrets. Il ne comprend pas les délais apportés à une réforme en réalité « extrêmement simple »qui passe par « l’abrogation de 3 articles de lois »et doit viser à éliminer la responsabilité pénale des cadres du secteur public vis en vis de leurs actes de gestion pour la remplacer par une « responsabilité et des sanctions professionnelles » prononcées par les organes sociaux des entreprises. Une réforme plusieurs fois annoncée au cours des dernières années et toujours pas appliquée .Des gestionnaires indépendants du pouvoir politique ? Et puis quoi encore ?
Hassan Haddouche