21 juin, c’est le premier jour de l’été. Comme chaque année au terme de l’année scolaire, les familles algériennes vont se heurter au casse-tête des loisirs. Bien sûr il reste toujours les plages. Mais avec le Ramadhan au cœur de l’été, les soirées risquent fort de ressembler à la corvée des courses dans les centres commerciaux et les bazars à ciel ouvert ou non.
Une fois le ramadan passé, les familles algériennes auront aussi le réflexe de se ruer, comme d’habitude, et ils sont de plus en plus nombreux depuis plus d’une décennie, vers la Tunisie voisine. Bonne nouvelle pour eux et pour la Tunisie Cette année ils pourront découvrir un nouveau parc d’attractions et de loisirs baptisé « Carthage Land Lac de Tunis » inauguré voici à peine 15 jours dans une capitale tunisienne qui en comptait déjà une dizaine qui attirent des millions de visiteurs chaque année. A la clé pour ce seul dernier équipement, des centaines d’emplois pour un investissement de l’ordre de 20 millions de dollars. Son propriétaire, un promoteur privé déjà à la tête de plusieurs parcs du même type, se frotte déjà les mains et annonce « l’un des meilleurs parcs d’attractions dans la région méditerranéenne » qui comporte un parc aquatique et d’attractions, une aire de jeux Ali Baba, un cinéma 7D et une galerie commerciale et de restauration.
Les planificateurs algériens n’aiment pas les loisirs
Pendant ce temps en Algérie les plans de développement concoctés par des fonctionnaires austères et très sûrs de leurs choix se succèdent et gardent un fort parfum de XIXe siècle. Priorité à la route, au rail, au logement, aux barrages… Quant à l’industrie des loisirs, dans un pays où 70% de la population a moins de 30 ans, elle reste carrément un ovni. Sous d’autres cieux, ce que nos voisins tunisiens ont bien compris depuis plusieurs décennies il s’agit pourtant d’un secteur économique à part entière qui peut représenter en moyenne jusqu’à 8 à 10% du PIB et qui enregistre de surcroît des taux de croissance 2 à 3 fois supérieurs à ceux des autres secteurs. L’activité a en outre la particularité d’être fortement créatrice d’emplois, d’être particulièrement propice à l’emploi des jeunes et de favoriser l’insertion des femmes dans la vie professionnelle.
Des équipements qui datent des années 70
Un haut fonctionnaire au ministère de la Culture nous signale au passage que la conception «austère» du développement économique qui préside depuis un quart de siècle à l’allocation des ressources de l’Etat n’était absolument pas celle de l’«âge d’or» de la planification algérienne. «Les principaux équipements de loisirs et de tourisme dont dispose aujourd’hui les Algériens ont été réalisés dès les années 60 et dans le courant des années 70. Le cas d’Alger est significatif. Qu’est-ce qui a été réalisé de notable depuis la construction de centres touristiques de Sidi Fredj, de Zeralda, du Club des Pins ou de Tipasa ? Le parc zoologique et des loisirs d’Alger inauguré en 1981 date aussi de cette époque tout comme le complexe sportif du 5-Juillet ou le théâtre de verdure de l’hôtel Aurassi. Même Riadh el Feth livré en 1985, a été lancé à cette époque.»
Des besoins immenses …
Depuis bientôt 30 ans, pratiquement plus rien. Bien sûr la «décennie noire» est passée par là. Elle a plongé l’ensemble de la population algérienne dans une crise du vivre-ensemble et a transformé le pays en désert culturel. Aujourd’hui les besoins accumulés dans le domaine des loisirs sont immenses. A Alger, la capitale étant dans ce domaine la mieux lotie, les foules qui se pressent dans les centres commerciaux de Bab-Ezzouar ou à Ardis sur le front de mer, qui font office, faute de mieux, d’espace de loisirs, renseignent sur l’étendue de la frustration ressentie par les Algérois qui ne sont pas les plus à plaindre dans ce domaine. Le week-end, en dehors de la saison estivale, dans une agglomération qui compte maintenant largement plus de 5 millions d’habitants, les seuls espaces de détente disponibles sont la forêt de Bouchaoui transformée en fourmilière et un parc d’attraction des Pins maritimes aux dimensions d’un timbre poste et dont on refuse l’entrée aux jeunes.
….Et une nouveauté : des ghettos pour riches
L’étendue des besoins fait face à une prise de conscience insuffisante des enjeux et à un manque d’ambition flagrant de la plupart des responsables politiques algériens depuis près de 2 décennies. Des projets annoncés récemment auraient pu constituer une lueur d’espoir pour l’avenir et une véritable bouffée d’oxygène pour une agglomération qui prend des proportions géantes. Un «parc des Grands vents» doté récemment de plus de 1 000 hectares du coté de Dely Brahim était destiné à accueillir un «parc paysager et de loisirs» si on en croit le cahier des charges initial. Chemin faisant et après plusieurs années de tractations, le projet du Koweitien EIIC semble clairement s’orienter de plus en plus vers la construction d’un complexe immobilier de luxe dont l’accès sera réservé aux seuls résidents fortunés .Un ghetto pour riches, à l’image des nouveaux complexes du même type en cours de construction par le groupe Emiral à la sortie de Moretti ou encore à proximité du Club des pins où des entreprises chinoises s’emploient 7 jours sur 7 à achever le frère jumeau de l’ancien complexe devenu trop étroit pour satisfaire les besoins de la nouvelle nomenklatura algérienne.
En attendant « Alger 2029 »
Soyons justes, le projet baptisé « Alger 2029 » peut encore changer beaucoup de choses. Il annonce notamment la réalisation dans les années qui viennent de plusieurs « Promenades » sur le front de mer et à l’intérieur de la ville, ainsi que des marinas et la Casbah transformée en une véritable médina.
Le front de mer, priorité de la wilaya, connaît actuellement plusieurs projets de réaménagement et Alger ne devrait plus, dans quelques années, tourner le dos à la Méditerranée. Le plus en vue de ces projets est celui de la plage des Sablettes inscrit au programme « Alger 2029 ». Les Sablettes, autrefois lieu malfamé, seront transformées d’ici 2016 en une promenade de 4 km de long déjà ouverte en partie et envahie chaque week end par des flots de visiteurs . Le coût de ce projet ? 20 milliards de dinars( 200 millions d’euros ).
Côté mer toujours, un nouveau port de plaisance à l’image de celui de La Madrague devrait être livré d’ici deux à trois ans. Il sera situé à Raïs Hamidou. Les travaux prennent du retard mais les autorités semblent décidées à achever ce projet, lancé au 1er semestre 2013 et financé par le Trésor public à hauteur d’un milliard de dinars (10 millions d’euros). Différents points de la côte algéroise, d’El Djamila à l’ouest jusqu’à Tamentafoust à l’est, en passant par les Sablettes, devraient être reliés entre eux par des traversiers qui feront office de moyens de transport mais aussi d’embarcations de plaisance. Ces embarcations devraient entrer en fonction une fois tous ces projets achevés, c’est-à dire à l’été 2016. Le coût global de ces travaux est estimé à quelque 50 milliards de dinars (environ 500 millions d’euros) . Ils pourraient bien changer le visage de la façade maritime de la ville et lui rendre sa vocation méditérranéenne .
Des « Promenades » et un « Grand Aquarium »
Mais Alger ce n’est pas seulement la mer. La ville manque d’espaces verts et, hormis le Jardin d’essais et la forêt de Baïnem, il n’existe pratiquement pas de vrais lieux publics de sorties. Pour pallier cette situation, la wilaya d’Alger compte aussi lancer deux projets : celui de la Promenade de l’Indépendance, qui descendra du Monument aux Martyrs d’El Madania vers la promenade des Sablettes, en longeant le nouveau quartier d’El Hamma, qui devrait être reconstruit et abriter à l’avenir plusieurs bâtiments officiels, dont le siège du Parlement. La promenade est imaginée en pente avec, à son extrémité nord, un parc thématique qui surplombera la Bibliothèque nationale et l’Hôtel Sofitel puis traversera un parc d’équipement public et finira sur le Grand Aquarium, dont on dit qu’il sera l’un des plus importants du pourtour méditerranéen. A quelques kilomètres de là, la promenade d’Oued El Harrach devrait offrir un grand espace de villégiature et de plaisance. Elle devrait être achevée une fois terminés les travaux de dépollution et d’aménagement confiés à une entreprise sud- coréenne. Selon la wilaya d’Alger, ces travaux prendront fin en l’été 2015. Les parcs de villégiature s’étendront tout au long des 18 km de l’oued.
Transformer la Casbah en médina
la wilaya a décidé de réhabiliter l’ancienne médina algéroise. Comme des projets de rénovation sont prévus depuis plus de 30 ans on jugera sur pièce. Au programme, on retrouve une enveloppe destinée à l’aide aux particuliers dont les maisons peuvent être récupérées pour devenir des demeures touristiques ou des petits musées. Les pouvoirs publics se chargeraient, quant à eux, de reconstruire les ruelles de la médina tout en gardant intact leur cachet ancien.La médina rénovée sera desservie par une station de métro, celle du Musée du 1er Novembre. Le métro devrait desservir, à l’horizon 2016, dix-sept stations au lieu de neuf actuellement et devrait arriver, dans dix ans, jusqu’à la banlieue d’Ouled Fayet, où un grand opéra de 12.000 places est en phase de construction. Un projet, financé par les autorités chinoises et qui coûtera 20 millions de dollars.
Convoitises autours du Parc de Ben Aknoun
En attendant la réalisation de ces projets, qui n’apporteront de toute façon qu’une réponse partielle au problème des loisirs dans la capitale, une solution alternative pourrait être constituée par la réhabilitation et la mise en valeur des infrastructures existantes. Dans ce domaine à Alger, la solution la plus évidente consiste à regarder du côté du parc zoologique et des loisirs de Ben Aknoun. Sa réalisation qui s’est poursuivie pendant toutes les années 70 a conduit à l’inauguration en 1981 d’un complexe de loisirs qui constituait à l’époque une infrastructure sans équivalent à l’échelle du Maghreb. Un site unique sur les hauteurs d’Alger, une superficie immense de plusieurs milliers d’hectares desservie par des autoroutes et ceinturée de plusieurs parkings qui en facilitaient l’accès. Le concept était original, fondé sur l’association d’un parc zoologique du côté de Ben Aknoun s’étendant jusqu’à Oued Romane et d’un parc de loisirs doté d’équipements très nombreux et très variés du côté de Hydra- Birmandreis. Les deux espaces étaient reliés à l’intérieur même du parc par une ligne ferroviaire, un téléphérique et des navettes routières. Pendant toutes les années 80, le parc de Ben Aknoun a constitué le pôle d’attraction majeur pour la population algéroise et plus largement pour la région centre du pays. Cette infrastructure unique connaît depuis près de 20 ans une descente aux enfers ininterrompue qui en fait aujourd’hui un espace mal famé, déserté par les familles, dont les équipements sont tombés en ruine les uns après les autres sans être jamais remplacés. Son assiette foncière, irremplaçable et prise d’assaut de toutes parts, par des constructions souvent hideuses, fait en outre l’objet, dit-on de convoitises multiples. Il est peut- être temps de sauver le parc zoologique et des loisirs de Ben Aknoun.
Hassan Haddouche