D’abord une image saisissante : Abdelaziz Bouteflika transporté dans une ambulance française protégée par tout un convoi policier. Une scène que des millions d’Algériens ont pu voir, cette semaine, sur les télévisions françaises deux semaines après la célébration du 60e anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne. 60 ans de souvenirs et de fierté pour aboutir à une telle scène où notre Chef de l’Etat est trainé dans une ambulance française. 60 ans de combats pour la liberté qui ont donné naissance à une nouvelle dépendance vis-à-vis de cette même puissance contre laquelle nous avons arraché notre indépendance.
Une image qui n’a pas été suffisamment commentée ou analysée par les médias algériens. Une image terrible en soi si l’on se réfère à notre rêve de bâtir un pays développé, émancipé du joug impérialiste, qui n’a suscité quasiment aucun débat au sein de nos élites.
Ensuite, un fait extraordinaire. La polygamie et le port du foulard continue d’opposer les algériens les uns aux autres alors que le pays est en pilotage automatique. Les internautes comme les habitués des cafétérias se sont passionnés pour cette polémique enclenchée par Naima Salhi, la présidente une formation politique islamiste, qui a plaidé en faveur du retour en force de la polygamie. D’après cette brillante politicienne et fervente partisane de la promotion des droits des femmes, la polygamie va résoudre les problèmes de la société algérienne en réduisant la proportion de femmes célibataires, et par ricochet, d’hommes frustrés et torturés par leurs désirs sexuels. La polygamie sauvera notre société, mais saura-t-elle améliorer la gouvernance de notre Etat ? Ni Naima Salhi ni ses acolytes islamistes ne répondent à cette question cruciale au regard du vide politique dangereux qui menace notre pays. La polygamie saura-t-elle nous donner un Président fort capable de mobiliser tout un pays pour concrétiser des projets de développement ? A cette question, aucun partisan de la polygamie n’a fourni de réponses. Mais voyons, avoir plusieurs femmes permet de mieux vivre, de réguler les tensions sexuelles d’une société et de mettre à l’abri du besoin et de la débauche nos femmes. C’est déjà acquis ! Admettons ! Et après, l’Algérie, on en fait quoi au juste ? On la transforme en stade géant où les mariages collectifs se succèdent les uns aux autres ?
Un peu de sérieux ! Une société qui se préoccupe davantage des «faux problèmes» de chambres à coucher que des dysfonctionnements de son État, est une société vouée au sous-développement et à ses ravages. Une société qui se passionne pour la volupté de ses hommes et néglige la mauvaise gouvernance qui plombe ses institutions politiques, est une société condamnée à la décadence. Nous avons, peut-être, tendance à l’oublier : nous sommes un pays sans Président, un navire sans capitaine. Des lois, comme celle des finances, sont votées sans aucune consultation démocratique, sans le moindre débat populaire. Des chantiers, comme le siège du futur parlement, sont lancés sans que l’opinion publique n’y comprenne l’intérêt. Des milliards disparaissent mystérieusement de nos caisses sans qu’aucun haut responsable ne s’explique devant les Algériens. Un Président qui se contente de recevoir des ambassadeurs et voyager dans les hôpitaux de France, voici un fait dont il faut se préoccuper. En revanche, l’Algérie des polygames en puissance et des douanières qui veulent porter à tout prix leurs foulards pendant leur travail détourne uniquement notre attention des principaux enjeux de notre avenir. Malheureusement, dans certains pays, «la bêtise insiste toujours», comme le dit si bien Albert Camus.