«Dieu maudit le corrupteur et le corrompu» Par Aziz Benyahia

Redaction

«Dieu maudit le corrupteur et le corrompu.» Ce hadith bien connu figurait du temps de la colonisation en bonne place dans la salle du tribunal chez le Cadi qui, pour mémoire, occupait la profession de juge en droit musulman. L’inscription en arabe était affichée derrière la place du cadi, bien en évidence ; comme pour se prémunir contre d’éventuelles mauvaises pensées des justiciables. Il n’y avait pas de version en français du hadith ; ce qui peut laisser penser que l’Autorité coloniale estimait que cela faisait partie des us et coutumes indigènes. Dans la Mahkama on ne traitait que des affaires « arabes » sous l’œil vigilant du cadi, pièce maîtresse de l’administration coloniale et relais indispensable. L’ambiance ne prêtait pas à la sérénité et il y régnait comme une atmosphère d’un mauvais conte des mille et une nuit, versus intrigues et trahisons. Le cadi y donnait le tempo et pouvait par conséquent rendre la justice à sa guise, pourvu que les problèmes fussent contenus dans l’univers indigène. Ambiance !

Rien de semblable évidemment dans l’Algérie de l’époque dans les tribunaux pour Européens ( pieds-noirs ) où la justice est représentée depuis l’Antiquité, par la statue d’une femme aux yeux bandés (symboles d’impartialité), tenant dans une main une balance et dans l’autre un glaive prêt à l’action. Ici le décorum et le rituel suggèrent la justice et l’impartialité alors que chez le cadi il y a comme un air de conspiration. Cet état des lieux ne doit rien au hasard. Cela fait partie de l’histoire de la colonisation. Deux mondes vivaient en parallèle : les Européens et les Indigènes. Il y avait un traitement spécifique pour chacun. Ceci pour le contexte.

En réalité, le hadith affiché en bonne place à la Mahkama figurait sur le mur, juste pour la forme. Il n’avait donc plus force de dissuasion mais bien au contraire, il rendait illusoire toute espérance en une justice sereine, tant la réputation de corrompu était établie dans l’esprit de la population à propos du personnage du cadi, réputé maître-chanteur irrémédiablement corrompu.

Les caïds et les cadis, étaient jadis nommés par l’Autorité coloniale qui laissait faire, et la majorité d’entre eux s’acquittaient de leur tâche bien au-delà du zèle, au point que la corruption était devenue un passage obligé si on voulait modérer le diktat du cadi. Mais ça, c’étaient les affres de la colonisation.

Aujourd’hui, les temps ont changé. Il n’y a plus chez nous de cadis ni de caïds. Ni de colons ni d’indigènes. Il y a La justice, qui fait partie du domaine régalien de l’Etat et il y a les magistrats chargés de rendre la justice en toute équité. La nature humaine étant ce qu’elle est, on ne poussera pas la naïveté jusqu’à penser que nos magistrats devraient tous être des parangons de vertu. Nous avons donc nous aussi, des magistrats corrompus ou corruptibles dont le nombre sera toujours une variable liée à la permissivité ambiante. Plus la corruption s’installe dans les mœurs et plus le nombre de magistrats véreux augmentera. En d’autres termes, il ne faudra pas exiger d’un magistrat l’infaillibilité si la corruption est partout présente au point que le justiciable soit obligé de bourse délier et de céder au chantage d’un employé municipal, ou d’un fonctionnaire des douanes ou des impôts pour obtenir une attestation ou simplement un formulaire.

Si la corruption est aujourd’hui un phénomène endémique auquel très peu de pays échappent réellement, il faut bien admettre qu’elle fait de véritables ravages dans les pays du Tiers-Monde. L’Occident civilisé et donneur de leçons en est en grande partie responsable pour y avoir installé au pouvoir des potentats dont il a le culot de moquer aujourd’hui les mœurs. Des affaires retentissantes de corruption à grande échelle dans les pays développés nous ont permis de découvrir qu’il existe des nuances sémantiques dans ce domaine.

Quand il y a corruption dans les pays sous-développés, l’Occident utilise le terme de « bakchiche » ; l’idée étant d’y accoler une touche d’exotisme pour en faire la tare des pays pauvres. Chez eux en revanche, les Occidentaux utilisent les termes de « rétro-commission » ou de « prise illégale d’intérêt ». Cela fait plus propre et plus présentable. La nuance sémantique sert dans ce cas à présenter la corruption comme un fait divers ou un regrettable faux-pas en Occident, alors que dans les pays du Tiers-monde elle serait une pratique naturelle et normale, inscrite dans leur ADN.

Reste que la corruption ne doit pas être considérée comme une fatalité et qu’on n’est pas condamné à être corruptible ni à devenir corrupteur ou corrompu. La loi qui punit mais qui éduque aussi, peut arriver à modifier les mœurs, particulièrement dans les pays où le phénomène est nouveau et où rien ne les prédisposait à ce genre de catastrophes.

Sans tomber dans le romantisme ou l’utopie, on ne peut s’empêcher de considérer qu’il existe des pays qui ne « méritent » pas de subir un tel traitement. Pour ma part, j’ai la faiblesse de penser que des pays comme le nôtre – je pense au Vietnam et à l’Angola entre autre – qui ont payé un très lourd tribut pour conquérir leur liberté et qui ont consenti d’énormes sacrifices parce qu’ils rêvaient d’une véritable justice sociale, ne méritent pas de passer entre les fourches caudines des multinationales et des potentats locaux et subir la corruption dans son expression la plus abjecte. On ne peut admettre qu’il faille graisser la patte pour inscrire son enfant à l’école ou pour accéder au travail, aux soins de santé et au logement, compte tenu des sacrifices consentis pour vivre libres.

Ainsi chez nous, la corruption qui était presque un sujet tabou au lendemain de l’indépendance, est devenue progressivement un phénomène endémique, suite à une libéralisation du régime politique. Celle-ci, perçue comme une faiblesse du Pouvoir plutôt que comme un choix politique, a ouvert les vannes à un afflux d’argent considérable et a permis l’émergence brutale de nouvelles fortunes qui n’ont pu prospérer sans le recours à la corruption. Le pays est passé d’un état endémique à une véritable pandémie, puisque la notion même de service publique a complément disparu de notre langage. L’Algérie est devenue un pays malade de la corruption, et la lecture accablante du rapport pour l’année 2015 de l’ONG Transparency Internationale nous réserve bien des surprises. L’échelle du niveau de corruption qui va du moins corrompu N° 1 ( Danemark ) au plus corrompu N° 174 ( La Somalie ), place l’Algérie au numéro 100, bien plus corrompue que la Tunisie ( 79 ), le Maroc ( 80 ), la Zambie ( 85 ) ou le Gabon ( 94 ), et réserve aussi d’autres surprises : La France occupe le 26ème rang derrière Les Emirats et le Qatar. Soit dit en passant, cela devrait donner à réfléchir aux médias français au sujet de leurs idées reçues sur les pays du Golfe.

L’Algérie fait donc partie des pays dans lesquels sévit la corruption à grande échelle et il ne se passe pas un jour sans que les médias nationaux ne reviennent sur le sujet, obéissant tout simplement aux impératifs de l’actualité. Et la situation est d’autant plus préoccupante que les Algériens ne semblent même plus se scandaliser de l’importance du phénomène ni des chiffres astronomiques qui sont quotidiennement révélés. Mais, autant on peut comprendre que les personnalités soupçonnées de corruption fassent profil bas pour ne pas braquer les projecteurs sur eux, autant on peut être très surpris du peu d’intérêts des mosquées pour le sujet. Je n’ai jamais assisté à un prêche du vendredi ou à un darse consacré entièrement à la corruption et à ses ravages. Il faut croire que le sujet est considéré trop sensible et qu’il existe des risques de dégâts collatéraux et inattendus. De quoi se perdre en conjectures.

Comment lutter contre la corruption?

1° L’exemple doit venir du sommet de la hiérarchie qui dirige le pays. Cela suppose que les responsables, à tous les niveaux, doivent être au-dessus de tout soupçon, et traités comme tous les justiciables en cas d’infraction à la loi. Le signe envoyé serait très fort et imposerait de ce fait le respect des Institutions et la crédibilité du Pouvoir.

2° Sachant que la corruption peut à tout moment gangréner les rouages administratifs et la chaîne de commandement, il faut nécessairement se doter d’un arsenal juridique extrêmement répressif et bien entendu, d’une justice et d’un personnel judiciaire exemplaires. La sévérité du jugement et son exécution hors de toute intervention du Pouvoir exécutif, auront un caractère dissuasif incontestable.

3° Le sujet de la corruption doit être abordé sans faux-fuyant dans l’enseignement, dès l’école primaire

4° Le rôle des mosquées s’avère primordial, compte-tenu de la moyenne d’âge des fidèles. Les parents sensibilisés au problème et convaincus de la malédiction divine dans tous les cas de figure de la corruption, pourront relayer l’enseignement des maîtres dans les écoles.

Mais en attendant cette véritable révolution dans nos mœurs politiques et dans le choix des méthodes de gouvernance, il devient primordial aujourd’hui d’envoyer un signe fort aux Algériens en reconnaissant publiquement que la corruption existe, qu’elle a fait des dégâts incommensurables et que son éradication fait partie de la première urgence. Ne pas le faire c’est admettre la fatalité du phénomène et une complicité à tous les étages et c’est aussi miner définitivement les fondements mêmes de notre société et de notre pays.

 

 

 

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