Par : Kamel DAOUD
Étrange ce rapport à la filiation et aux ancêtres. Lieu de nos maladies et de nos souffrances intimes : en gros on se dispute les ancêtres et on se rejette les enfants (du pays). Un écrivain ainé se voit comme obligation de cracher son venin sur son descendant. Lieux du mauvais enfantement et du refus de la perpétuation. Après moi, le néant ou les imbéciles (autre forme du déluge). Le régime, silencieux, assis, morne, ne dit rien sur rien mais s’auto-saisit sur une affaire étrange : le Dr Said Sadi qui fait remonter la trahison jusqu’aux « Pères » de la nation.
Il n’est pas le premier, mais il est Saïd Sadi. L’histoire devient une affaire régionaliste. Un procureur se désigne, une plainte est déposée et il y aura procès. De quoi ? De versions d’histoire, de lots de martyrs privatisés. L’histoire est une affaire familiale, pas nationale. L’histoire a été falsifiée, maintenant elle est privatisée. Beaucoup d’algériens ont vu dans l’auto saisie de la justice à propos du dossier « Messali/Benbella/Sadi une affaire de clans : il a touché à la famille Oujda, liée par le sang à la famille régnante. L’affaire part mal : on y aurait espéré une sorte d’accouchement de l’histoire par l’actualité et un débat sur notre mémoire volée et sur nos ancêtres imposés ou occultés, il n’en sera rien rien. L’affaire est déjà politique et consanguine. Elle ressemble à un règlement de comptes, pas à un éclaircissement du passé. Elle accentue les régionalismes morbides et émiette le pays. Elle aggrave le sentiment de victime chez les uns et de ségrégation chez beaucoup d’autres. Elle joue à la crise berbériste-bis en mode mineur.
Le pire est que c’est un très mauvais signal : voilà que la justice algérienne se présente aux algériens comme un instrument de « famille ». Le régime tombe dans la catégorie de cosa nostra. Pourquoi en effet cette célérité, s’interroge des algériens? Pourquoi n’avoir rien dit quand d’autres ont dit pire ou la même chose ? Pourquoi la justice se tait sur des centaines d’affaires et s’actionne sur une affaire comme celle-ci ? A qui appartient l’Histoire algérienne ? Qui peut dire quoi ? Qui a tué qui ? Sourdement, la méthode donne à lire la panique, la fin de règne aux yeux de certains. Quand un système en arrive à de la violence et au ridicule, il est un compte à rebours et sa peur le prouve. Question de fond : à quand la libération de la guerre de Libération ? Quand pourra-t-on être libre en Algérie et assumer cette liberté ?
Car cela devient énorme et va vers l’explosion : certains se sont appropriés Allah, d’autres la mémoire. Les uns encombrent le ciel étoilé et les autres barrent la route de la mémoire. On ne peut dialoguer avec Dieu, accuser un ancêtre, relire l’histoire ou la révélation, faire parler un personnage ou un historien. On ne peut pas filmer le sacré, un martyr, un homme qui boit un vin. On ne peut pas dire, lire, écrire ou imaginer, sans prier ou supplier ou demander une autorisation. Qu’est-ce que ce pays ? Un nœud coulant, presque.
Le pire est que personne ne pense aux enfants, ne veut en avoir ou en avoir ici sur cette terre. Un pays, un régime, qui se préoccupe plus des morts que des vivants, actionne sa justice pour une tombe plus vite que pour un accouchement, n’est pas vivant. C’est un Zombie. Il est stérile. Il veut se reproduire mais sans enfanter.
Conclusion ? Il y aujourd’hui en Algérie une crispation, un basculement, un raidissement et une exagération qui sont de l’ordre de la névrose collective. On est en pleine hystérie. Une justice qui se tait sur le vivant et s’actionne sur les morts est le signe d’une maladie. Au delà même de la singularité de ce dossier et l’évident usage politique de la plainte, aux yeux d’une majorité. Said avait-il tort ou raison ? Il a le droit d’être libre dans son pays et l’Histoire algérienne n’appartient pas aux uns au détriment des autres. C’est un bien, pas un Palais.
Benbella a été diffamé en 65 et Messali le jour où on a interdit à la foule de participer à son enterrement.