El Paso. Ce n’est pas le nom d’un oiseau exotique ni celui d’un groupe de musique qui enflamme les planches et fait chavirer les cœurs tendres des minettes. El Paso est le nom d’une compagnie pétrolière américaine. Méconnue des Algériens, cette compagnie avait, pourtant, passé un contrat méga-important avec l’Algérie au début des années 70. Un contrat qui aurait pu permettre à notre pays de se retrouver dans une situation financière très confortable au début des années 90. Juste au moment du début des violences de la décennie noire. Mais, ce contrat n’aboutira jamais et le projet a été tué dans l’œuf par des vautours qui ont privilégié leurs intérêts mafieux et personnels au détriment de tout un pays.
Nous sommes en 1969. L’Algérie cherchait à tout prix à recouvrer sa souveraineté énergétique en exploitant intelligemment ses hydrocarbures. Et pour ce faire, il était vital de trouver une solution pour construire un ensemble pétrochimique important, de taille internationale, dont la production serait destinée principalement à l’exportation. Mais l’Algérie, fraîchement indépendante, ne pouvait mener à elle-seule un projet aussi ambitieux. Il fallait donc des partenaires d’envergure qui miseraient sur un jeune Etat dépourvu encore d’un outil de production performant. La tâche n’était guère facile. Et c’est peu de le dire!
Une firme américaine ose le pari : El Paso Natural Gas. Elle manifeste son intérêt et propose un contrat pour la livraison de 10 milliards de m3 par an de gaz algérien sur une période de 25 ans. Les négociations entamées furent très rudes. Belaïd Abdesselam, l’un des hauts cadres de l’Etat, qui avait travaillé sur ce dossier stratégique, était revenu longuement dans son livre sur ce chapitre très secret de notre histoire économique. Grâce à ce contrat, qui a été avalisé par l’administration américaine en mars 1973, l’Algérie a pu enfin pénétrer le marché de l’énergie aux Etats-Unis, comme le relève Hocine Malti dans son livre «Histoire secrète du pétrole algérien ».
1986, le choc que l’on aurait pu éviter
Sid-Ahmed Ghozali, ministre de l’Energie et des Industries pétrochimiques sous l’ère Boumédiène, avait lui aussi bien expliqué les immenses enjeux de ce méga-contrat : «La transaction avec El Paso portait sur la vente de 10 milliards de m3/an. Ce fut une première en matière de transaction transatlantique de GNL à grande échelle. Ces deux accords ont été déterminants dans le déblocage de nos relations avec tous les autres clients européens. Ils ont ouvert, sur les sept années qui allaient suivre, la voie à la conclusion avec les Etats-Unis, l’Espagne, des clients français, italiens, austro-allemands et nordiques (belges, hollandais, suédois), d’une somme de contrats fermes totalisant 56 milliards de m3/an et de contrats optionnels pour 8 milliards de m3/an», relate-t-il dans un entretien au Soir d’Algérie paru le 10 mars 2008.
Le contrat avec El Paso aurait permis à l’Algérie de vendre son gaz, qui n’était pas indexé sur le prix du pétrole, à un prix fixe pendant 25 ans. Mais ce projet était trop beau pour être vrai. Dès la mort de Boumédiène, les déserteurs tardifs de l’armée française, les fameux DAF, et à leur tête le feu Larbi Belkhaïr, l’architecte de ce qui allait devenir plus tard l’Algérie : une dictature des généraux, montent au créneau pour saboter le contrat «El Paso».
En mars 1979, Chadli qui a succédé à Boumediene limoge Sid Ahmed Ghozali. Comme un certain Chakib Khelil durant les années 2000, Ghozali avait été traité de «traître» qui voulait dilapider les richesses de l’Algérie au profit des Américains. Les lobbies des DAF écrasent tout sur leur passage. Chadli est manipulé. Et la France, qui avait violemment réagi lors de la signature du contrat avec El Paso qu’elle considérait comme une menace pour ses intérêts en Algérie, soutenait le lobbying des DAF et de leur chef de file Larbi Belkhaïr. Un lobbying qui avait abouti à l’annulation du contrat en 1980.
Une véritable catastrophe ! Un désastre que notre pays allait payer très cher car si l’Algérie avait maintenu ce contrat, elle se serait mise à l’abri des terribles conséquences du choc pétrolier de 1986 où le prix du baril avait dégringolé à 10 dollars ! Et comme le gaz était indexé sur le pétrole, l’Algérie avait perdu sur tous les tableaux. Les conséquences du choc de 1986, nous les connaissons tous : une paupérisation générale qui allait enclencher octobre 1988, un processus politique saboté en 1992, et une décennie de guerre civile parmi les plus violentes du 20e siècle.
Toute cette tragédie aurait pu être évitée. Oui, évitée car si l’Algérie n’avait pas rompu son contrat avec El Paso en 1980, elle aurait engrangé d’importants revenus en 1986, en plein choc pétrolier. Les prix fixes assignés par la compagnie américaine n’auraient pas été influencés ou modifiés par la crise. Si le contrat en question n’avait pas été suspendu en 1980, l’Algérie se serait retrouvée aux débuts des années 90, avec au moins 23 milliards de dollars dans ses caisses. Ce chiffre a été confirmé et établi par l’ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou. Avec un tel matelas financier, l’Algérie n’aurait pas été étouffée économiquement. Elle n’aurait pas été obligée de s’endetter auprès du FMI. Elle aurait pu gérer beaucoup plus aisément la montée de l’islamisme radical qui prospérait sur le terreau de la misère sociale.
Nouvelle charge des lobbys
Malheureusement, les intentions malsaines des lobbys des déserteurs tarifs de l’armée françaises, les généraux des années 90, ont triomphé de la bonne volonté des acteurs du projet El Paso. Un projet saboté par une mafia qui ne voulait pas d’une Algérie industrialisée et stable. Cette même mafia allait faire son beurre dans le secteur de l’import-import jusqu’à faire de l’Algérie la poubelle de tous les containers de la planète.
Durant les années 2000, «le syndrome El Paso» a de nouveau frappé. Un certain Chakib Khelil a préparé une loi sur les hydrocarbures sur mesure pour faire de Sonatrach un acteur international stratégique vendant son gaz sur les marchés européens. Un mémo de l’ambassade des Etats-Unis à Alger datant du 1er août 2007 et révélé par Wikileaks révèle les dessous de cette stratégie qui avait épaté les Américains. Le câble s’intitulait, par ailleurs, «Sonatrach goes global» (Sonatrach devient mondiale). Mais là encore, les décideurs français qui ne voyaient pas d’un bon œil le développement de Sonatrach à l’étranger ont tissé des alliances avec les lobbies de la mafia militaro-politique. Le scandale Sonatrach éclata alors. Corruption, malversations, tout a été saboté. Chakib Khelil a quitté ses fonctions et a pris la poudre d’escampette. L’Algérie a du revoir ses ambitions à la baisse et se retrouva toujours dépendante de son modèle rentier. En 2014, comme en 1986, un autre choc pétrolier s’est produit. Nos réserves de changes diminuent dangereusement. Tous les économistes tirent la sonnette d’alarme. Les politiques aussi. Mais au pays de la mafia, qui peut sauver les meubles lorsque la maison prend feu de partout ?