Eux les « impies » et nous « les musulmans » Par Abdou Semmar

Redaction

Ma photo week-end

Un petit enfant syrien meurt, échoue sur une plage. Un  petit garçon de 3 ans au t-shirt rouge et pantalon bleu, face contre terre. Sa tête gisant sur le sable et tournée vers la mer rêvait de ces horizons lointains que lui et sa famille voulaient atteindre pour vivre enfin en paix. La paix, rien que la paix ! Le vœu pieux d’Aylan, il s’appelait ainsi ce petit syrien, et de sa famille a viré à la tragédie.  

Le corps de son frère aîné, Ghalib, 5 ans, ainsi que de sa mère auraient également été retrouvés sur le rivage. Aylan, son frère et sa mère fuyaient les violences qui n’épargnaient personne dans leur pays natal, la Syrie. Un pays arabe, musulman. Une terre ensanglantée par la haine, l’idéologie salafiste djihadiste, la dictature, le crime, la barbarie, bref, tous les maux qui plongent depuis des décennies le monde arabo-musulman dans les abysses de l’horreur. Aylan fuyait ce monde qui voulait tuer un ange comme lui. Il fuyait un monde qui voulait massacrer l’enfant innocent qu’il était pour la simple raison qu’il se trouvait au mauvais endroit, sur une parcelle maudite de ce monde. Aylan, qu’on le veuille ou pas, est le symbole de la déchéance du monde arabo-musulman qui s’enfonce dans les guerres, la haine religieuse et les massacres collectifs. On aura beau crier au complot, on aura beau proclamer que Daech est une invention sioniste, on aura beau disserter sur les appuis internationaux de la dictature de Bachar El-Assad, la vérité amère demeure la même : Le monde arabo-musulman est malade de cette violence endémique que sa décadence nourrit davantage chaque jour.

Honte à nous tous ! 

Et notre réaction, nous les musulmans, face à cette tragédie syrienne est tout simplement honteuse. La plus grande honte de notre histoire millénaire. Pendant qu’Aylan poussait son dernier soupire, nos « cheikhs » des pays du Golfe dépensaient encore des centaines de millions d’euros à recruter des stars mondiales de football pour auréoler les clubs. J’aime le football, j’aime son ambiance et sa ferveur. Mais je préfère l’innocence des enfants et avec autant de millions, voire de milliards, dépensés par nos amis richissimes qataris, saoudiens, émiratis, on aurait pu construire depuis belle lurette toute une nouvelle mégapole pour accueillir sur les terres de ce monde arabo-musulman ces millions de réfugiés syriens.

Des enfants arabes, musulmans pour la plupart, certains sont chrétiens, dont le salut est venu finalement d’une femme appelée Angela Merkel. Cette brillante dirigeante allemande a défié les préjugés racistes de sa société, les peurs de ses concitoyens, pour ouvrir les portes de l’Allemagne à plus de 200 mille réfugiés. Un accueil chaleureux, humain et un traitement respectueux de leur dignité. Tout le contraire de ce que vivent et subissent les familles syriennes dans les pays arabes et très musulmans. En Algérie, nos rues sont hantées par des mères et soeurs syriennes qui mendient, demandent l’aumône et font appel à notre charité. D’autres subissent les insultes les plus crasses, un racisme des plus abjects. Est-ce digne de notre foi, de nos valeurs, de notre culture, de notre longue histoire révolutionnaire ?

Très peu d’Algériens le savent, mais la Syrie est notre soeur jumelle. Il y a 150 ans, quand nous étions massacrés et réprimés  par les colonisateurs français, des milliers d’Algériens avaient trouvé refuge en Syrie. Le plus célèbre d’entre-eux est évidemment l’Emir Abdelkader. C’est le petit fils de l’émir, Saïd Abdelkader, qui lit en 1918 la déclaration d’indépendance du pays et devient Premier ministre du roi Fayçal.  Lors de notre guerre de libération nationale, la Syrie avait formé des centaines de nos moudjahidine. Mieux, de nombreux Syriens avaient rejoint le maquis pour se battre aux côtés de nos parents et grands-parents. Le plus connu de ces amis syriens est Nourredine Al Atassi. En 1966, il devient président de la Républiue Syrienne…

Ne soyons pas Ingrats  

Nous n’avons pas le droit de nous montrer ingrats en 2015. Nous n’avons pas le droit de laisser nos amis syriens mourir à petit feu sous nos yeux. Nous n’avons pas le droit de voir à la télé leurs enfants échoués sur les rivages. Que pouvons-nous faire ? D’abord, l’Algérie peut peser de son poids pour réunir en urgence les pays arabes dans le cadre de la Ligue arabe, comme va le faire l’Union européenne dont « la prochaine réunion de crise se tient… dans douze jours [le 14 septembre] ». Une réunion qui sera dédiée à la tragédie des réfugiés syriens. L’Algérie doit et peut convaincre les pays du Golfe de financer des centres d’accueil aussi modernes que les villes européennes. L’Algérie est un grand pays. Notre territoire est vaste. Des milliers de syriens peuvent venir aussi vivre parmi nous. Cultiver nos terres qui ne trouvent pas de main-d’oeuvre. Bâtir des usines que nous peinons à construire. Réaliser des logements que nous n’arrivons pas à livrer.

Faisons comme les milliers d’Islandais qui ont signé une lettre ouverte pour montrer leur volonté de recevoir plus de réfugiés syriens. Ces milliers d’Islandais ont proposé spontanément d’accueillir des Syriens chez-eux ou de les aider en offrant des vêtements, de la nourriture ou des cours. Sortons de cette dualité « impie »/ »musulman » et tendons une main à nos frères syriens, à nos sœurs syriennes. Il y a 15o ans, ils avaient sauvé la vie à de milliers de nos ancêtres. Rendons-leur la pareille…