France, ton salut viendra des Musulmans éclairés Par Abdou Semmar

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«Plains ceux qui ont peur car ils créent leurs propres terreurs», avait dit un jour le talentueux et célèbre écrivain américain Stephen King. La France est une société qui a peur. Et elle créé ainsi ses propres terreurs. La peur anesthésie la pensée, fige la réflexion et nourrit l’angoisse. L’angoisse suscite la panique qui va jusqu’à justifier la pire des violences au nom de la légitime défense. Pour se protéger d’un danger incommensurable contre lequel on n’arrive pas à trouver un remède, on se jette à corps perdu dans les bras des régimes «sécuritocrates». On invente des «plans Vigipirate» et on n’oublie que les militaires armés jusqu’aux dents ne peuvent rien face à un sentiment de haine ou un désir morbide de violence.

Toute une Rédaction d’un hebdomadaire satirique exécutée en plein jour et au cœur de l’une des plus grandes capitales, et plus surveillées aussi, du monde. Bouleversant ! Oui, mais cela ne suffit pas. Faire le deuil, clamer son émotion, verser ses larmes et dire que «je suis Charlie», ne suffit pas. Se rassembler dans les rues, faire des marches et prononcer des discours prônant l’union, ne suffit pas. Contre le fanatisme, l’obscurantisme, la frustration et le sentiment d’injustice, ce cérémonial ne suffit pas. L’Algérie a connu une sale guerre civile, des violences inouïes, aussi spectaculaires que cette tragique attaque armée contre Charlie Hebdo. Elle s’est rassemblée, a marché et prononcé des discours. L’effusion du sang ne s’est nullement arrêtée. Cette effusion s’est arrêtée uniquement le jour où des élites dirigeantes ont compris la nécessité de réfléchir autrement.

L’Algérie des années 90 n’est pas la France de 2015. C’est clair et évident. Mais l’Algérie des années 90 était une société profondément fracturée et ségréguée. D’un côté les privilégiés qui rôdaient autour d’un système et profitaient de ses avantages et de l’autre des exclus, parias, populations entières abandonnées par les structures dominantes, mais récupérées par des courants radicaux qui tentaient d’embrigader le maximum de jeunes au nom d’une guerre sainte pour le renouveau.

La France de 2015 est aussi une société dangereusement ségréguée. La «France des banlieues» s’oppose diamétralement à cette France des beaux quartiers et des villages provinciaux. La première subit la précarité et l’exclusion sociale, mais elle n’arrive nullement à s’exprimer politiquement pour émerger et conquérir sa place dans la société. Elle s’enferme ainsi dans un Islam folklorique où la prière dans des salles clandestines, le Hallal dans les cantines scolaires et le voile ostentatoire sont présentés comme des éléments constitutifs d’une identité sociale fantasmée. L’autre France, confrontée à une rude crise économique, s’angoisse et s’attache à son modèle culturel sacralisé dans les films et livres : le vin, le porc, le catholicisme et les racines judéo-chrétiennes pour sauver son âme du labyrinthe de cette mondialisation ravageuse. A chacun son culturalisme. A chacun son enfermement et ses certitudes qu’ils tentent de défendre en méprisant l’autre, en l’excluant de son champ d’action, en le diabolisant par tous les moyens possibles.

Et face au conservatisme trompeur de la France des banlieues, la France des beaux quartiers et «petits blancs», comme le répète si souvent Eric Zemmour, arbore l’islamophobie et un certain fascisme douillet  qui refuse de dire son nom. Les deux France ne peuvent pas se parler et se rejettent continuellement. Depuis des années, elles se font la guerre, mais froidement. Aujourd’hui, c’est l’explosion.

Dans le pays de Voltaire et de Rousseau, les nuances ont perdu leur sens. Le juste milieu n’existe plus. Qui a raison ? Personne. Qui a tort ? Tout le monde. D’abord parce que l’ «Islam de France» n’existe pas. Il est une invention que même le Père Noël ne trouve pas amusante. Il y a un seul Islam. Pas celui du folklore ou celui fantasmé par certains rappeurs français. On n’invente pas une identité religieuse avec des apparences fabriquées artificiellement pour dire merde au français Bobo, Blanc et bouffeur de Porc qui n’aime pas voir des mosquées dans son pays. La spiritualité ne guérit jamais contre le mal-vivre. La religion ne cimente pas une société victime d’exclusion sociale. L’Islam est une religion et non une bouée de sauvetage.

La pureté culturelle française est aussi un mythe. La France qui chante son Louis XIV et Napoléon est une France déconnectée des réalités du monde. La France qui croit que ses fromages ne vont pas disparaître est une France vouée à la disparition. La France qui croit que la circoncision est un crime contre l’humanité et réduit le Ramadhan à une bizarrerie communautariste est une France bonne pour l’asile ou la maison de retraite.

Le salut viendra finalement d’une seule catégorie : les musulmans éclairés. Enfin, de ces gens qui ne veulent pas être des musulmans «made in France» pour prouver leur bonne intégration. Ils sont musulmans tout court car ils sont convaincus que les lumières de leur pensée critique les prémunissent contre cet obscurantisme revanchard. Ces musulmans éclairés maîtrisent leur religion. Ils savent qu’elle est universelle, lumineuse et capable de transcender les clivages sociaux et identitaires. Elle leur donne cette force rationnelle pour réfléchir sur l’état du monde et les mesures à prendre pour s’adapter à ses mutations. Ces musulmans sont exigeants avec eux et leur entourage car ils savent que la pensée bien-pensante est le premier terreau de la bêtise humaine. Ces musulmans éclairés ont cette capacité à maîtriser plusieurs cultures puisque leur universalisme les porte au-delà des frontières factices mises en place par les élites dirigeantes.

Ces esprits éclairés parlent aux gars de la banlieue comme à ces vendeurs de charcuterie ou de bons fromages français. Ils ne sont ni terrifiés par les caïds de la cité ni par le pouvoir des «petits blancs». Ils n’ont peur ni des «Allah Okbar» des frères désorientés ni des strings affichés dans les panneaux publicitaires du métro parisien. Ils savent penser la violence, la surmonter et construire un autre monde moins superficiel et plus profond parce qu’ils ne cèdent pas à la tentation des clivages. Ces musulmans éclairés existent, ils écrivent, ils activent, ils militent, ils vivent et ils meurent comme un certain Mohamed Arkoun. La France, si elle veut s’en sortir, peut commencer par les écouter. Ils lui seront d’une aide vitale….