Il n’y a pas que le régime qui doit changer. Les Algériens aussi Par Abdou Semmar

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Le changement ne sera admis que s’il ne porte aucune atteinte à l’origine; il doit être inspiré de l’origine : « il faut qu’il soit une imitation du modèle précédent », disait le célèbre poète syrien Adonis. La sagesse de ce grand homme de lettres arabes résume très bien l’état d’esprit qui régit en ce moment l’Algérie. Face à la chute des prix du pétrole, ses futures conséquences dangereuses, la régression économique qui menace le pays, les autorités algériennes veulent procéder à un changement qui reproduit exactement l’ancien modèle de gouvernance : un Etat rentier pour diriger une société rentière !

Le pétrole va disparaître et s’épuiser d’ici 2037 ? Oui, pas de panique, nous allons exporter le gaz de schiste ! La voici donc la réponse toute simple et bête que le régime algérien a fournie en guise d’assurance pour calmer les inquiétudes de nos concitoyens. Sellal, le porte-parole des décideurs algériens, a expliqué clairement mercredi soir à la télévision publique algérienne qu’il n’est pas possible de laisser cette richesse moisir dans nos sous-sols. La diversification de l’économie ? Ok, mais pas sans lancer l’exploitation du gaz de schiste pour continuer à financer nos «grands projets». Le langage est limpide, le discours bien rôdé et les intentions très claires : pour pouvoir garantir encore les subventions publiques accordées au pain, lait et essence, il faut à tout prix exploiter nos richesses naturelles.

Le changement promis par notre régime est vraiment grandiose : l’économie rentière du pétrole sera remplacée par celle du gaz de schiste exportée en grandes quantités afin de couvrir les frais de ces importations qui offrent aux algériens le luxe de se croire réellement «riches».

La logique du régime est quelque part raisonnable si l’on se réfère à ses projets scélérats consistant à maintenir le pays dans un vase-clos fait de totalitarisme, espaces d’expression contrôlés et libertés publiques réprimées. Mais, au final, les Algériens sont-ils aussi prêts à faire le changement ?

Sont-ils réellement prêts à vivre sans économie rentière ? Désirent-ils bâtir aussi, comme le prétendent certains opposants, un pays développé et émancipé ? Soyons honnêtes : comment relever le défi de la diversification de l’économie si de nombreux compatriotes veulent acheter un pain soutenu par l’Etat, un sachet de lait subventionné et un litre d’essence à moins de 25 Da ?

L’ouverture économique nécessaire pour se débarrasser de cette économie rentière, qui fait le bonheur des élites dirigeantes, passe obligatoirement par une responsabilisation de la société. Celle-ci doit se remettre profondément en cause pour accepter l’autonomie de l’individu et sa primauté sur le collectif grégaire. Un Algérien qui vit chez ses parents jusqu’à l’âge de 30 ou 40 ans pour attendre que l’Etat lui accorde un logement social est-il un citoyen capable de relever un nouveau défi économique ? L’Algérien qui refuse d’aller au sud du pays pour cultiver et mettre en valeur ses terres arables abandonnées en jachère, peut-il accepter que son Etat cesse de gaspiller ses milliards en achetant de la nourriture à l’étranger ? L’Algérien qui veut travailler comment agent de sécurité pour rester les bras croisés et ne pas fournir beaucoup d’efforts, va-t-il comprendre la nécessité de payer les études universitaires de qualité pour son fils ?

L’Algérien qui passe plusieurs heures dans le café du quartier à reluquer les filles va-t-il comprendre qu’il doit payer plus cher pour se nourrir et se soigner parce qu’il ne travaille pas assez et ne contribue en rien au développement de l’économie de son pays ?

Le jour où nous répondrons en toute franchise à ces questions, ce jour-là on pourra parler d’une sérieuse alternative à proposer contre la logique rentière du régime. Une société sans déclic, sans énergie, sans dynamisme, habituée à l’assistanat et à la paix sociale financée par des milliards de dollars, est une société incapable de porter le changement pour éviter sa désintégration. En Algérie, il n’y a pas que le régime qui doit changer. Les Algériens, aussi, doivent faire leur révolution… contre eux-mêmes…