Islam et politique: Quand le juge et l’imam dînent avec le diable

Redaction

L’islam est une religion trop prégnante dans les sociétés musulmanes, quels que soient les régimes politiques qui les gouvernent, au point qu’on n’arrive jamais à démêler le profane du sacré ni le temporel du spirituel. La confusion est volontairement entretenue par les Pouvoirs en place dans le but de rétrécir le plus possible le champ de liberté laissé au citoyen par le régime politique en place.

Ainsi, le législateur très souvent soumis au Pouvoir politique ; voire religieux, peut à son aise et au gré des circonstances s’abriter derrière son interprétation du Coran pour fouler au pied les libertés élémentaires garanties par la constitution, au prétexte que l’islam est religion d’Etat. De ce fait, la confusion est installée dans les pays musulmans entre Démocratique et Théocratie, transformant ainsi et sans aucune gêne une référence culturelle ou historique en Loi fondamentale. Cette imposture laissera penser qu’il n’y a pas grande différence entre une République démocratique telle que l’Algérie et un Etat théocratique tel que l’Arabie Wahhabite. Ce glissement de plus en plus fréquent vers de moins en moins de liberté et de plus en plus de bondieuserie, et cet amalgame volontairement entretenu entre la Loi divine et celle des hommes ; entre les prescriptions religieuses et la justice humaine, aboutissent à une confusion des genres. Celle-ci finit par introduire dans le paysage et de façon très inquiétante, un tribunal de la rue inspiré par un Islam d’importation et animé par des illuminés convaincus d’être missionnés pour dicter leurs « lois » présentées alors comme d’essence divine.

On l’a vu récemment en Algérie avec cet imam qui a sommé le Gouvernement de passer par les armes un auteur algérien pour avoir mis dans la bouche d’un héros de son roman des paroles blasphématoires ; confondant l’auteur, une personne réelle, avec celle du roman, un personnage fictif. Dans toute autre démocratie digne de ce nom, l’auteur de la fatwa aurait eu affaire à la justice pour diffamation, apologie du crime et trouble à l’ordre public. Reste à espérer qu’il en sera ainsi chez nous. Mais il est permis d’en douter compte-tenu du silence complice des Autorités et de l’arrogance de plus en plus plus violente de l’imam qui continue à sévir. Celui-ci serait-il donc au-dessus de la loi, avec la bénédiction du Pouvoir ? Juridiquement non, mais concrètement oui. Et cela, pour plusieurs raisons.

L’imam est un justiciable comme n’importe quel citoyen, tout comme un wali, un truand, un policier, ou un chef d’Etat. Il est supposé être le meilleur d’entre nous sur le plan moral, car il est d’abord l’exemple même du « produit démocratique » puisque choisi par le peuple et dont les qualités ont été reconnues par la communauté des croyants pour exercer son magistère et ensuite parce que son comportement a valeur d’exemplarité pour nous et surtout pour nos enfants. Son rôle d’éducateur, son statut de référent religieux et donc son exposition publique, devraient naturellement le rendre encore plus vulnérable vis à vis de la loi. La moindre de ses faiblesses pour humaine qu’elle pourrait être, lui serait difficilement pardonnable.

Un imam pédophile ou voleur ou corrompu est plus sévèrement condamnable que n’importe tel quidam, pour avoir trahi la communauté, abusé de sa confiance et commis un parjure. Dès lors, la mansuétude ou la bienveillance à son égard par le pouvoir judiciaire ne peut qu’être synonyme de complicité et d’échange de bons procédés. Pour bénéficier de traitement de faveur, l’imam doit à son tour éviter dans ses prêches des thèmes risquant de lever le voile sur un Pouvoir et une Justice exercés hors de tout contrôle, et qualifiés par la vox populi d’alliances mafieuses.

Ces arrangements avec Dieu et avec le diable de la part de ceux qui gèrent pour les uns, le spirituel et pour les autres le temporel, servent aujourd’hui de toile de fond dans tous les pays musulmans sans exception et ont fini par donner naissance à une espèce de pacte de connivence et de complicité solidaire qui leur assure une totale emprise sur les leviers d’un Pouvoir devenu bicéphale.

Tant et si bien que les salafistes-intégristes, forts de leurs victoires quotidiennes face à la vulnérabilité des Politiques, poussent encore plus loin leurs avantages dans une stratégie à long terme en culpabilisant de plus en plus les citoyens, les accusant d’être responsables de leurs difficultés quotidiennes et de la dégradation de leur vie sociale à cause de leurs moeurs dissolues, d’Internet et de leurs manques d’assiduité à la mosquée. Ils se gardent bien de leur conseiller dans leurs prêches, de manifester contre le pouvoir corrompu, contre l’arbitraire, contre l’enrichissement scandaleux, contre la mafia, contre la dégradation générale des infrastructures, contre l’enrichissement illicite, contre les nouvelles dynasties de l’argent miraculeusement gagné. En revanche ils leur reprochent de déserter les mosquées, de fumer, de regarder la télé, de jouer au foot-ball, d’écouter de la musique et de veiller tard durant le ramadhan. En résumé, ils condamnent les croyants et pardonnent aux dirigeants ( Houkkem ). Lesquels le leur rendent bien.

Ceux qui chez nous font profession de diseurs d’islam, de spécialistes du fiqh, et de gardiens de la foi, en prennent largement à leur aise vis à vis des fidèles dont ils n’ignorent pas le faible niveau de connaissance religieuse et la particularité de leur foi, vécue plus comme une échappatoire à l’enfer plutôt que le chemin qui mène au paradis. C’est le résultat pathétique d’une éducation religieuse confiée aux chauffeurs de taxis et aux coiffeurs égyptiens appelés en sauveurs de la langue arabe lors de la campagne d’arabisation forcenée.

En d’autres termes, on continue à nous apprendre dès la petite enfance à avoir peur de l’enfer plutôt qu’à mériter le paradis. Et cette course incessante durant toute une vie pour échapper au feu de l’enfer, installe chez le croyant sincère mais désarmé, un sentiment constant de culpabilité dont il essaie de s’alléger en s’en remettant à l’imam, perçu comme le seul intercesseur et par conséquent l’unique sauveur. Cette mise sur un piédestal autorise l’imam à faire croire que les hommes de religion, en contact permanent avec Dieu, ne rendent compte qu’à Lui et échappent par conséquent à la justice des hommes. D’où l’arrogance des fabricants de fatwas et des jeteurs d’anathèmes qui peuvent plastronner devant des parterres de croyants qui ne connaissent pas grand-chose à l’islam, hormis quelques éléments du rituel, et qui n’ont d’autre choix que de gober tout ce qui vient des représentants du culte. Lorsqu’un croyant dénonce le chantage quotidien à la corruption dans l’administration par exemple, il s’entend répondre par l’imam que Dieu y pourvoira et que Seul Dieu dans son omniscience, décidera du jugement le jour dernier. Circulez, il n’y a rien à voir, et tout ce qu’on vous demande c’est de prier, de bien faire vos ablutions, de veiller à l’alignement des orteils dans la prière et d’insulter les mécréants (kouffars). Ainsi donc la répartition des rôles obéit à un système assez simple qui ne laisse aucun doute sur le flou et le rideau de fumée volontairement entretenus par les deux officines : l’une religieuse et l’autre politique.

 Autre exemple anecdotique à propos de la confusion des genres: A Tizi-Ouzou, il n’y a pas longtemps, des jeunes qui avaient décidé de ne pas observer le ramadan de manière ostentatoire étaient passibles de la Loi civile, mais pas de la loi religieuse à laquelle eurent recours les Autorités locales. L’observation du jeûne est une obligation rituelle et non pas juridique. Les jeunes pouvaient être poursuivis pour faits d’outrages à l’ordre public mais pas pour infraction à la charia, sauf à considérer qu’on nous avait caché l’existence d’une telle autorité religieuse. On a donc sciemment substitué le fiqh ( droit musulman ) à un traité de droit positif ; le tribunal de la rue s’étant accaparé le rôle du pouvoir judiciaire. Cela s’appelle l’Inquisition dès que l’homme cherche à se substituer à Dieu par la surenchère dans la dévotion. L’islam nous met à l’abri de ces dérives, et condamne formellement ceux des hommes qui parlent en son nom. Le Prophète (Ass) lui-même se considère comme chacun de nous, comme un simple mortel et ne s’accorde aucun droit qui n’obéisse à une injonction divine : « Dis : « je ne suis qu’un être humain comme vous. Il m’a été révélé que votre Dieu est un Dieu unique. Que celui qui espère donc rencontrer son Seigneur accomplisse de bonnes actions et lui voue son adoration sans jamais Lui associer personne ! » Coran 18/110

Dans ces deux exemples, la fatwa et la rupture provocatrice du jeûne, on relève deux points communs : D’une part, l’impunité totale des officines intégristes et leur indignation sélective vis à vis des entorses faites à la religion. La corruption pandémique, le commerce informel, la désobéissance civique, le retard abyssal dans l’enseignement, l’effondrement de la médecine, le bradage de nos richesses nationales ; tout ceci ne semble pas trop inquiéter nos nouveaux inquisiteurs. Impossible de ne pas y voir le partage de l’autorité et la répartition des territoires. Système typiquement mafieux comme au temps de la pègre. A toi l’importation des armes, la construction d’autoroutes et l’importation des céréales, et à moi le bazar, les importation de bimbeloterie, les voyages à La Mecque et autres secteurs précis.

Dieu est tenu à l’écart de ces transactions, bien évidemment. On l’invoque par réflexe, on le prie pour la forme, on le prend à témoin pour faire propre et on lui édifie des mosquées pour se faire pardonner. Comme aux temps des Païens. Ces arrangements avec le diable et le bon Dieu semblent faire l’affaire de tout le monde puisque les Islamistes doivent s’abstenir de critiquer ouvertement le Pouvoir (la houkouma ), préférant concentrer leurs attaques sur le peuple. Dans les mosquées on assiste à un véritable défoulement contre l’ensemble des fidèles rendus coupables de tous les maux de la société et du déclin de nos mœurs. Exit la corruption et les détournements de fonds à haute échelle. Les feuilletons télévisés et les parties de domino, voilà l’ennemi qui nous mènera droit en enfer. L’infantilisation et la culpabilisation des citoyens demeure leur seul crédo.

Les politiques, de leur côté nous font comprendre, sans rire et avec beaucoup d’aplomb qu’ils ne peuvent douter de la clairvoyance, du désintéressement, du dévouement ou tout simplement du sacerdoce de ces hommes de religion qui ont mis leur vie au service du bien, de la justice et de l’amour de Dieu. Ils ne peuvent donc poursuivre les imams pédophiles, les imams escrocs qui on détourné les dons destinés aux mosquées et encore moins les incubateurs de futurs djihadistes. Ils n’auront de compte à rendre qu’à Dieu, disent-ils.

Et quand par souci de mieux comprendre on demande aux représentants du Pouvoir pourquoi cette impunité scandaleuse et cette complicité criminelle, on s’entend répondre qu’il ne leur appartient pas à eux de juger les hommes de religion et que c’est Dieu qui s’en chargera. C’est du moins ainsi qu’ils argumentent, espérant ainsi biaiser la question en s’abritant derrière des réponses qui n’ont rien de rationnel ni de religieux. Un proverbe chez nous, conseille de « suivre le menteur jusqu’au seuil de sa maison ». Alors, allons-y.

Que dit la religion au sujet des hommes qui rendent la justice au nom de Dieu, qui parlent au nom de Dieu et qui invoquent Dieu matin et soir pour se rassurer et nous rassurer. Nul besoin d’aller vers les hadiths, ni vers les récits plus ou moins sujets à caution et plus ou moins discutables. Allons vers l’essentiel : le Coran.

Dans la sourate 5, verset 49, Dieu s’adressant aux hommes chargés par leurs pairs de rendre la justice, leur dit : « Juge donc entre eux d’après ce que Dieu t’a révélé, sans rien céder à leurs passions. Prends garde que leur influence ne t’écarte de certains commandements qui t’ont été révélés ! S’ils refusent Ton jugement, c’est le signe, sache-le, que Dieu veut leur infliger la sanction de quelques-uns de leurs crimes, car beaucoup d’hommes sont pervers ». Est-il vraiment nécessaire de commenter ce verset ? Ce serait faire insulte à intelligence à l’adresse de millions de musulmans et les rabaisser au niveau de ceux qui se servent de la religion pour leurs turpitudes.

Dans la même sourate 5, verset 48, s’adressant cette fois-ci au Prophète Mohammed (Ass ), Dieu Lui dit « … Juge donc entre eux ( entre les hommes ) d’après ce que Dieu t’a révélé. Ne suis pas leurs passions, loin de la Vérité qui t’est parvenue. A chacun de vous, Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre. Et si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule et même communauté ; mais Il a voulu vous éprouver pour voir l’usage que chaque communauté ferait de ce qu’il lui a donné. Rivalisez donc d’efforts dans l’accomplissement de bonnes œuvres car c’est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l’origine de vos disputes. »

Tout est dit sur la turpitude de ceux des hommes qui font usage de la politique pour s’allier avec ceux qui font usage de la religion par instinct de domination et par volonté de puissance. Cette alliance idéale et parfaite à leurs yeux, ne pourra échapper à la vigilance et à l’omnipotence divine. Et c’est ce que semblent oublier dans leurs griseries du pouvoir ceux qui ont cru tenir nos sociétés en coupe réglée, oubliant dans leurs calculs l’omniprésence et la mémoire du Maître du temps. Même si l’illusion de la réussite provisoire leur fait croire qu’ils sont invulnérables, ils ont commis l’erreur de s’inviter à la table du diable, ignorant sans doute ce dicton africain qui dit que : « quand on dîne avec le diable, il faut avoir une plus longue fourchette ».

Aziz Benyahia

 

 

 

 

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