Islam/ Plaidoyer pour la réhabilitation du soufisme

Redaction

Nous sommes complètement ahuris par la liberté laissée aux nouveaux prédicateurs et aux nouveaux maîtres à penser. Ils en prennent à leur aise pour proférer des menaces, décréter des fatwas et régenter carrément la vie des citoyens. Et puis, non contents de défigurer l’islam, et d’obéir au doigt et à l’œil à leurs mandants de la Péninsule arabique, ils poussent le culot jusqu’à douter de la foi des plus fervents d’entre nous. Ces nouveaux directeurs de conscience considèrent que nos parents avaient tout faux et que nous avons besoin d’être recyclés. En d’autres termes, ou vous rentrez dans le rang ou on vous estampille apostat et c’est le bûcher, pour finir.

Triste perspective pour un peuple particulièrement éprouvé par la décennie noire et qui, malgré les errements inquiétants de ses dirigeants, reste convaincu d’avoir payé un lourd tribut pour éviter de subir de nouvelles guerres sur fond de religion pouvoir enfin se  consacrer à sauver l’avenir de ses enfants. C’était sans compter avec une espèce de malédiction qui nous ballote entre la peste et le choléra, entre la mauvaise gouvernance et l’irruption du fanatisme religieux. Il ne faut pas oublier que des  pays « frères » ouvertement malveillants et des officines à la solde de l’étranger ont réussi, avec l’aide de nos propres enfants formatés au Salafisme, à installer chez nous une ambiance quasi inquisitoriale.

Livrés à nous-mêmes, nous rêvons  d’une remise à plat générale et d’un inventaire complet pour y voir plus clair pour ce qui concerne la foi, le rituel, la charia et les « mouamalates » (notre comportement).

Ceux parmi nous qui résistent le mieux sont incontestablement ceux qui trouvent en eux les ressources intérieures suffisantes. Ou alors ceux qui ont choisi la voie mystique. Car c’est dans les zaouias, auprès des soufis, qu’ils puisent l’énergie nécessaire pour résister et vivre leur foi dans la sérénité et à l’abri de la pollution qui nous submerge.

On dit que le soufisme est le cœur de l’islam. Il en est l’âme et il en est l’idéal. Et tous les connaisseurs s’accordent à dire que, par-delà sa particularité en tant que voie mystique, la voie soufie a toujours œuvré grâce à l’apport de ses savants, de ses penseurs et de ses philosophes, non seulement à relayer le message divin, mais surtout à l’irriguer de tout ce que l’intelligence peut apporter à l’homme pour le mettre au service de la paix et de la fraternité.

Tout le monde se souvient du silence assourdissant des grandes mosquées, des grands imams et des grandes autorités religieuses quand les GIA et le FIS égorgeaient et éventraient à tour de bras chez nous, au nom de l’islam, sans qu’aucune autorité religieuse musulmane eût à protester ni même à s’offusquer. Ni La Mecque ni Al-Azhar ne semblaient perturbés par l’apocalypse, du moment que cela se passait curieusement, loin de chez eux. En l’occurrence, l’argent a pu faire taire les plus hauts minarets. Et quand le religieux est inféodé au politique et que la mosquée est au service du palais, la corruption morale n’est pas très loin.

Alors tous les regards se tournent vers les Soufis, réputés éloignés des tumultes des palais et des bruissements des conclaves. Ils ne sont ni partie prenante au pouvoir temporel, ni complices des petits arrangements avec la charia. Peut-être pourrait-on leur reprocher, pour la plupart d’entre eux, une espèce d’isolement souverain et de foi aristocratique qui les tiendraient loin de la réalité du quotidien et du désarroi des fidèles. L’histoire du soufisme, qu’il s’agisse des confréries populaires ou des sociétés savantes, a toujours essuyé le même reproche récurrent. On leur fait grief de camper des aristocrates de la foi, ou d’être des artistes de la pensée et des poètes hors du temps, comme si aucun bruit de la rue ne pouvait troubler leurs longues séances de dhikr et de recueillement. C’est vrai et caricatural à la fois, car certaines confréries – je pense notamment à la Alawyya de Mostaganem – font un travail remarquable par le biais du tissu associatif entre autres, pour dispenser les enseignements de l’islam en fidélité avec le message coranique et hors de toute mainmise de quelque autorité que ce soit. Ses responsables ont compris qu’il était temps de dire l’islam et de séparer le bon grain de l’ivraie, non pas à force d’anathèmes et de stigmatisations, mais par le dialogue, fut-ce avec les plus conservateurs et les plus réactionnaires des musulmans.

Il est temps pour les autres confréries de sortir du bois. Elles doivent non seulement faire disparaître l’image déplaisante de confréries maraboutiques pas toujours insensibles aux largesses du pouvoir politique ou financier, mais irriguer de leurs savoirs et de leur sagesse des millions de fidèles désemparés. Le retour à nos propres fondamentaux et à nos traditions, s’impose comme la voie la plus sûre. Le soufisme doit retrouver ses lettres de noblesse, après avoir été longtemps frappé de suspicion ou circonscrit volontairement à un maraboutisme de tous les dangers.

On attend d’eux qu’ils nous rappellent l’enseignement de l’islam afin de nous permettre d’exercer notre liberté de conscience et de débusquer les semeurs de troubles et les nouveaux prophètes. Ceux-là ne savent pas que « Le plus grand ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais l’illusion de la connaissance. » ( Stephen Hawking )

Aziz Benyahia