Un tir. Des enfants qui courent sur une plage. Puis des cadavres d’enfants. La scène est à Gaza, sous les bombes de l’armée Israélienne, mais aussi dans les têtes des gens. Le crime est atroce, il rend aveugle, triste, colérique, myope ou donne envie de mort et de guerre. Et du coup revient la Question qui n’a pas de réponse, dans le monde dit « arabe » depuis plus d’une demi siècle. La questions en trois : Que faire d’Israël ? Que faire contre Israël ? Que faire avec Israël ?
Pour le « Que faire d’Israël ? », les régimes « arabes » ne savent pas. On ne peut jeter les israéliens à la mer, ni accepter un pays qui s’étend et ne s’arrête pas de le faire. Il y a eu ce que d’aucuns appellent la « Harwala », traduire normalisation enthousiaste suite aux accords d’Oslo ou aux défaites durant les dernières guerres. Il y a eut le front de refus. Déni hypocrite, à usage interne mais pas personnel : Israël, on sert la main de ses dirigeants durant l’enterrement de Hassan II, on y achète matériels médicaux et armes et savoir-faire, on dine avec, on salue mais en catimini. Ce pays créé au flanc du monde « arabe » a reconduit l’illusion de l’existence d’un pseudo « monde arabe ». Les deux fondent leur mythe l’un sur l’autre, l’un à cause de l’autre. Certains en Israël justifient la guerre par la menace « arabe » et les régimes « arabes » se servent d’Israël comme mythe de consolidation politique. Voyez les derniers jours de Saddam et ses missiles contre Tel Aviv. En gros, on ne sait pas quoi faire d’Israël après trois défaites, alors on cherche la solution : des deux Etats, des deux visages ou des deux attitudes.
Le « Que faire Contre Israël ? » est le mythe de la grande émotion. Lue dans Echourouk, la déclaration de cheikh Sahnoun, l’un des ex du FIS algérien avant hier: la crise en Palestine impose de la création d’armées arabes pour la protection de la Palestine. C’est la vision religieuse et fantasmée de la Réponse : des armées « arabes », on débarque et on chasse le dernier juif vivant sur El Qods qui se cacherait derrière le dernier arbre délateur. La vision mêle les récits messianiques sur l’avènement de la fin du monde par le signe de la Palestine récupérée et libérée, les sursauts pan-arabiques de milieu du siècle dernier et la formidable naïveté politique et logistique de ce courant qui alimentent les émotions. On y rêve de force, d’armée, de puissance et de victoire, mais par le rêve. Sans pays puissants, sans démocratie, sans économies fortes, sans travail, sans créativité. Juste en priant et en jetant des cailloux et des fatwas. Ce fantasme est puissant cependant : il mêle « Tradition » et souvenir du Saladanisme. Il fonctionne par le déni du réel et on s’y plait dans la vision de l’éradication. Que faire de la « Palestine » ainsi « libérée » ? Hâter la fin du monde, dit la tradition. Et ? Rien. On ne sait pas. Ce rêve de destruction d’Israël par les armes est puissant et fascinant. Il sert ici à recruter les armées assises et, en Israël à provoquer les peurs solidaires : le « ils veulent nous jeter à la mer » redonne des forces à l’extrémisme en Israël, à la Droite, aux « faucons » et à la guerre. Cela tue le rêve ténu de la cohabitation et offre du vent aux prêcheurs des intégrismes deux deux bords. Pendant que les gens meurent, surtout. Enfants, civils et passants. On perd du temps et des vies, mais les intégristes ont toujours pensé qu’ils ont l’éternité ou, du moins, la représentent bien.
Reste la dernier question : Que faire avec Israël ? Question taboue pour ceux qui pensent que la solution est de vaincre ou de détruire ou de s’en détourner. Dans le navire de la caravane maritime qui a tenté de briser le blocus sur Gaza, on pouvait compter de nombreux juifs. Hedy Epstein, âgée de 85 est une militante pour les palestiniens, survivante de la shoah. Des soldats ont ce courage rares sinon impossible dans le monde « arabe » de dire non pour participer à des opérations dans les territoires palestiniens. Des journalistes, des écrivains, des penseurs et des poètes et des hommes d’affaires en Israël ou juifs d’ailleurs disent non. On n’en parle pas chez nous, on ne les connait pas, on ne lance pas de ponts par-delà les haines et les cris et les slogans. On préfère la solution finale, à la rencontre inaugurale. Le chroniqueur n’a jamais entendu parler d’un prix pour un soldat refuznik israélien, d’un salut, d’un hommage pour un intellectuel israélien qui dit non à la guerre et oui à la cohabitation. « Que faire AVEC Israël ? » est une question que l’on ne veut pas se poser parce que la perspective est celle de la solution par le radical. Ni dans les écoles, ni dans les temples, ni dans les têtes. Il en naquit des générations « d’arabes » qui aujourd’hui, émus par les images de sangs et intoxiqués par les idées de la vengeance et de haine contre le juif, ont oublié que le juif ou le musulman sont humains, peuvent ou ont déjà vécu ensemble et que la guerre d’Israël n’est pas une religion, mais une guerre et que la bonne question est « Que faire avec ? » au lieu du « Que faire contre ? » fantasmé.
Et bien sûr, on préfère ne pas voir les choses ainsi. On préfère tourner en rond dans le « que faire contre ? » et le « que faire d’Israël ? ». Dans la même boucle stérile et criminelle de ceux qui, de l’autre bord pensent le « que faire des arabes et des palestiniens » ? Et non que faire avec.
Et bien sur, saluer Hedy Ipstein, vieille dame de 85, sur les bateaux contre le blocus, ou aux frontières de Rafah, est un crime. Une hérésie. Une apostasie et une preuve de sionisme. On préfère le cri, le jet de cailloux à la main tendue aux Israéliens qui veulent la paix et l’incarnent et en ont le courage et la dignité. On préfère parler de « juifs » et accuser ceux qui proposent ou tentent de trouver la « Réponse » au-delà du ridicule des « armées arabes », des fantasmes de fin de monde et des haines et des lâchetés morales. On préfère abandonner la parole aux extrémistes qui veulent jeter les « Palestiniens» dans le vide et ceux qui veulent jeter les juifs à la mer.
Vision naïve ? Peut-être. Mais rêver du meilleur est plus digne que de s’abandonner au pire. Que faire d’autre ? Les guerres ?