Les habitants d’Azzeffoun ne sont pas contents. On le serait à moins. En effet, les médias ont rapporté que les membres d’une association locale, des hommes exclusivement, sillonnent les rues de la ville pour exiger des femmes qu’elles portent le voile. Cette association s’appelle « Amel », qui signifie « espoir ». Espoir en quoi ? Les mots n’ont plus de sens, depuis longtemps. Alors, j’ai décidé de ne plus me poser de questions depuis que des rouleaux de papier hygiénique sont vendus sous la marque « Wafa » qui signifie « fidélité ». Est-ce vraiment nécessaire de compter sur la fidélité de ce type de papier, compte tenu de la nature de ce qu’on lui confie ? Je précise tout de même que mon propos ici n’a aucune prétention sémantique.
Je ne connais pas Azeffoun. Je ne connais personne à Azeffoun ; pas encore. Mais je suis « Azeffoun », comme je suis « Ghardaïa », comme d’autres ont été Charlie. Pas pour les mêmes raisons, bien sûr. Je suis solidaire des gens d’Azeffoun au nom du principe de défense des libertés et je n’accepte pas qu’on m’impose quoi que se soit qui ne soit conforme à une loi votée démocratiquement.
Des individus se répandent dans cette ville pour imposer aux femmes des tenues vestimentaires qui n’ont rien à voir ni avec les traditions locales, ni avec notre histoire nationale, ni – c’est plus grave encore – avec notre religion. Le mot d’ordre de cette association est très explicite, si l’on en croit les témoignages rapportés par les journalistes : Les femmes sont sommées de disparaître de notre paysage visuel. Elles doivent se voiler entièrement, et sans plus tarder (c’est dans leur slogan), pour être en conformité avec une lecture très particulière de l’islam.
Quelle que soit la particularité de leur interprétation des versets coraniques et des hadiths, ils n’ont pas le droit d’imposer leurs vérités ni de s’ériger en directeurs de conscience. On ne doit pas leur faire l’honneur de discuter avec eux du port du voile, ni de quel type de voile, en référence aux obligations canoniques, pour la simple raison qu’ils ignorent les règles du débat démocratique. Il faut se rappeler qu’ils s’inspirent et prennent leurs ordres des régimes Wahhabite et Salafistes dont, bien entendu, personne n’ignore l’amour irrépressible pour la démocratie, le sens du débat contradictoire, l’ouverture d’esprit, le souci de la participation de la femme à la vie de la Cité, et surtout la passion de la liberté d’expression. N’est-ce pas ?
Le propos n’est pas de discuter de la légitimité de cette association. Si elle existe, c’est parce qu’elle répond aux critères très clairs du code associatif. Mais si elle prend autant de liberté avec la liberté, elle se met, ipso facto, hors-la-loi et devra être dissoute de ce fait pour troubles à l’ordre public. Si, en revanche, elle continue à sévir au grand jour, c’est qu’elle bénéficie, à tout le moins, de la mansuétude des autorités locales.
Auquel cas il faudrait savoir – et c’est la conviction des citoyens interrogés par les journalistes – si ces agitateurs ne sont pas tout simplement les porteurs d’eau d’officines dangereuses, ou le bras armé des autorités locales ou tout simplement, les idiots utiles de puissances étrangères qui voudraient déstabiliser notre pays, sous couvert de mise à niveau ou de recyclage religieux.
Trop c’est trop !
De concession en concession, le Pouvoir perd chaque jour un peu plus de son autorité et c’est là où le bât blesse. Un « imam » prononce une fatwa appelant à la mise à mort d’un écrivain et d’une artiste, on décide d’exiger la preuve qu’on fréquente régulièrement la mosquée pour avoir droit à une aide au mariage, on décide de museler un organe d’information pour avoir osé relayer des révélations avérées de turpitudes au sommet de la pyramide. Et voici que maintenant on impose carrément aux femmes d’Azeffoun de se voiler. La démocratie et la liberté perdent chaque jour un peu plus de terrain en même temps qu’en face, les fondamentalistes et les extrémistes montrent leurs muscles au grand jour.
Soyons clairs
Soit on évolue sournoisement vers un régime théocratique et dans ce cas, on doit non seulement le dire clairement, mais il faudra aussi procéder à la révision de la constitution et donc repasser par la case élections.
Soit on réaffirme que nous sommes toujours en régime de République Démocratique et Populaire et dans ce cas, on doit mettre fin au nom de la Loi, à tous ces fauteurs de trouble qui minent dangereusement les fondements mêmes de notre société.
Toute autre attitude, qui consiste à laisser faire et à accepter la fatalité du pourrissement de la situation actuelle, est forcément la preuve d’une complicité voulue ou imposée. Cela pourrait traduire aussi un partage des rôles ; l’un formel et qui est l’ombre portée d’un pouvoir usé jusqu’à la corde et l’autre informel, habillé de « vertu » religieuse, mais interprété par des acteurs passés maître dans l’art du chantage à la guerre civile et au chaos.
Aziz Benyahia