Oui, en Algérie, il n’est pas facile de s’aimer. Ce n’est pas un poncif que l’on répète pour verser dans le sensationnalisme stérile. C’est une réalité sociale que l’on analyse encore très peu alors qu’elle suscite chez nos jeunes de terribles frustrations. Dans notre société, à chaque fois que l’on ose parler d’amour, on ramène tout à la religion. A chaque palpitation, effusion sentimentale, pulsion amoureuse, la diabolisation se met en branle. Ah non, c’est Haram ! Pourquoi ? Parce qu’il y a la sexualité qui est en jeu. Pour s’aimer, il faut se marier. L’éternelle règle sociale est toujours de mise dans notre pays. Mais les jeunes refusent de s’y soumettre. Filles et garçons sortent ensemble, ils découvrent leurs désirs, ils explorent leur libido, ils expriment leurs passions. Mais où ? Dans des endroits secrets, clandestins éloignés de tous les regards moralisateurs d’une société qui considère la sexualité comme un fléau.
C’est dans les dikis que l’on s’aime en Algérie. Diki, ce mot est inconnu pour les vieux et les adultes dépassés par les évolutions sociales en Algérie. Mais le Diki n’est pas seulement un appartement, un refuge, un abri, un hangar abandonné, une maison vacante ou un lieu désaffecté où se retrouvent la fille et le garçon pour coucher ensemble. Non, c’est tout un mode de vie pour de nombreux jeunes algériens qui ne peuvent pas s’embrasser publiquement, caresser leurs copines ou leurs fiancées ou s’adonner en toute liberté à leurs ébats amoureux. La virginité est toujours sacrée, mais la sexualité des jeunes algériens s’adapte à ce sacro-saint principe pour permettre une réelle exploration de la volupté. Une autre réalité qu’un étranger aura toujours du mal à comprendre. Mais dans nos dikis, nos jeunes réinventent leur sexualité, donnent vie à leurs désirs, recherchent leurs plaisirs et concrétisent leurs fantasmes. Tout cela dans un univers social clôt, secret et codifié pour que ces adultes moralisateurs et adeptes du conservatisme ambiant ne puissent guère mettre la main sur ces «harragas de l’amour».
Sans diki, sans cachette, sans plan et sans une cartographie des sous-sols amoureux de nos villes, nos jeunes ne peuvent pas s’aimer. Ainsi, pour le zawali, privé de moyens, et par définition de Diki, l’amour demeure un fantasme lointain. On reluque les filles sur internet, on drague dans la rue et on espère qu’un jour la chance nous sourit ! Une vie faite à longueur de journée de frustration sociale puisque le mariage est désormais synonyme d’aisance financière que l’on acquiert uniquement grâce à un boulot généreusement rémunéré. Une autre chance qui ne s’offre pas à tous les jeunes Algériens.
Des jeunes qui ne sont pas tous logés à la même enseigne puisque les fils et filles de nouveaux riches, dirigeants de l’Etat, héritiers des rentiers du système vivent, eux et elles, leurs amours sans aucun complexe. Oui, cette nomenklatura n’est pas menacée par les campagnes répétitives des salafistes et autres fanatiques qui veulent fermer les bars et chasser la mixité des cafés et restaurants. Ces jeunes-là s’aiment librement dans les bungalows de Club des Pins ou aux abords des piscines du Hilton et du Sheraton. Ces endroits ne sont pas discrets. Là-bas, les filles s’habillent en maillot deux pièces, en mini-jupe et en jean moulant. Les garçons exposent leurs voitures rutilantes et leurs montres suisses pour emmener leurs copines en soirées. Les dikis de ces jeunes sont des villas et des appartements situés dans les quartiers résidentiels surveillés et protégés par les barrages de Police.
Oui, l’Algérie subit la frustration sexuelle, mais aussi l’inégalité amoureuse. L’amour est accessible aux riches et se refuse aux pauvres. En attendant que la société s’ouvre et que le pays cesse de diaboliser le sentiment amoureux et le désir sexuel, des milliers de jeunes algériens poursuivent cette interminable quête : chercher un diki, un endroit discret pour jouir du droit d’aimer…