Kada, le destin d’un pendu Par Abdou Semmar

Redaction

Updated on:

ma photo chronique

Il était jeune. Il était âgé d’à peine 30 ans.  Il avait deux enfants. Sa femme était enceinte. Il avait tout pour être heureux dans ce monde. Mais rien pour savourer réellement ce bonheur dans ce pays qui est l’Algérie. Ce jeune père de famille s’appelle Kada. Originaire de Souk Ahras, située à l’extrême est du pays, il s’est pendu samedi. Oui, il s’est suicidé par pendaison sous les yeux de sa famille.

Kada avait tout pour être heureux. Mais, il ne vivait pas sous des cieux plus cléments. Il ne vivait pas sous des cieux où il pouvait travailler correctement, dignement, honnêtement pour nourrir sa famille. La tragédie de sa vie s’explique par la pauvreté qu’il a héritée de ses parents. Une pauvreté extrême qui l’avait empêché de suivre son instruction scolaire. Jeune, très jeune, il a commencé à travailler durement comme porteur. Oui, porteur. Il portait la marchandise des commerçants de sa région, les matériaux de construction dans les chantiers des villas que bâtissent les barons de la contrebande à Souk Ahras. Kada, lui, il n’avait pas les moyens de devenir un baron de ce trafic qui rapporte des milliards par jour.

Il n’avait, surtout, pas cette cruauté et cette profonde malhonnêteté pour embrasser la carrière d’un criminel qui vole, détourne et fait évader l’argent de son pays à l’étranger. Kada a préféré, quant à lui, porter sur ses épaules, les marchandises des gens et ses propres misères. Il portait ses propres malheurs dans un pays où ses semblables n’ont pas le droit à la parole, à la compassion ou à la pitié. Il se battait chaque jour sans se plaindre. Il n’avait pas le temps de se plaindre. Il devait ramener des sous à la maison pour acheter du pain, du lait, des légumes et quelques fruits à ses chérubins. Il acceptait de subir la faim, la privation. Toutefois, il n’acceptait jamais que ses enfants les subissent. Il prenait sur lui et affronter le poids de la torture quotidienne qu’inflige une société profondément injuste.

Injuste parce que les enfants de Kada méritaient de voir leur père vivre dignement en occupant un emploi qui préserve son dos et sa santé. Un emploi qui préserve son honneur et lui permet de rentrer chaque soir dans sa maison pour retrouver ses enfants avec un sourire joyeux. Les enfants de Kada méritaient que leur père puisse avoir la chance de trouver une main tendue, une oreille attentive. Ces enfants auraient voulu que leur père demeure encore en vie. Qu’il ne se pende pas, qu’il ne se suicide pas parce qu’il s’est montré incapable de les nourrir dignement.

Au moment où le dinar perd entièrement sa valeur face au dollar, les prix des produits alimentaires grimpent en flèche. Au moment où le pays a besoin de ces devises précieuses, les barons de l’informel et de l’import font évader avec une facilité déconcertante des millions et des millions d’euros par jour.

Si le dinar opposait de la résistance au dollar, si nos devises étaient investies dans notre pays pour développer de l’emploi et créer de la richesse, Kada se serait-il suicidé ? Si nos dirigeants ne gaspillaient pas notre argent public lors de leurs séjours dans les palaces parisiens pour les consacrer ensuite à la lutte contre la pauvreté dans notre pays, Kada se serait-il pendu ?

Les enfants de Kada n’auraient-ils pas gardé leur père si ce dernier avait bénéficié réellement des investissements programmés dans le cadre du fond de développement des hauts plateaux ? Un fond alimenté par plusieurs milliards de dinars depuis le 3e mandat de Bouteflika, mais qui n’a abouti à aucun projet concret dans ces régions frappées par le sous-développement. Je suis certain qu’on aurait pu sauver Kada. On aurait pu le dissuader de se pendre. On aurait réussi à lui redonner de l’espoir si on avait réalisé des investissements sérieux dans sa région. Hélas, nos dirigeants ont préféré importer, libérer la voie pour l’évasion des capitaux et abandonner toute une wilaya aux rois de la contrebande. Kada s’est pendu. Combien de pères infortunés risquent de suivre son chemin funeste ? Moi, je ne le sais pas. En revanche, ceux qui refusent d’agir pour arrêter les ravages de la pauvreté en Algérie, ils en savent quelque chose…