Khalti Fatouma, cette sans-abri emportée par le froid et l’indifférence glaciale de la société Par Abdou Semmar

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Elle s’appelait Khalti Fatouma. Elle était une vieille sans-abri affrontant la misère avec un sourire lumineux. Un sourire qui a fait sa légende à Hussein Dey et dans tous les autres quartiers populaires d’Alger. Une sans-abri qui luttait contre la précarité avec dignité, répondant à l’exclusion sociale avec un sens de l’honneur admirable, au mépris des gens et à leur indifférence avec une conduite respectueuse.

Elle n’a jamais volé pour se nourrir. Elle n’a jamais insulté pour quémander. Elle n’a jamais supplié l’autre pour profiter de sa pitié. Elle traversait silencieusement, taisant son malheur, jour et nuit les rues de cette Alger qui la snobaient cruellement. Khalti Fatouma dormait tantôt sur le banc d’un jardin public tantôt dans une école primaire dont les portes lui étaient ouvertes de temps à autres par des employés généreux. Mais cette générosité éphémère n’a pas suffi à sauver Khalti Fatouma d’une mort honteuse. La bonne vieille femme a été retrouvée vendredi, le corps sans âme, gisant dans la cage d’escalier d’un bâtiment à Hussein Dey. Elle est morte de froid, ne pouvant résister aux températures glaciales de cette nuit algéroise où aucun voisin n’a daigné lui ouvrir les portes de sa maison.

Khalti Fatouma est morte sous les fenêtres et balcons de ces voisins qui s’estiment être de bons et généreux musulmans. Elle est décédée dans une cage d’escalier, sur le palier de leur appartement sans que personne ne puisse entendre ses derniers soupirs, ses dernières prières. Elle est morte au moment où ses voisins récitaient leur Coran pour la prière d’Al Icha.

Morte de froid, non plutôt assassinée par la froideur de cette société hypocrite qui méprise et écrase le faible parce qu’elle ne tolère pas son existence. Assassinée par cette société aux valeurs prétendument musulmanes qui applique une générosité à géométrie variable. Une générosité de façade qui se limite à ces mois de Ramadhan pour faire bonne figure devant Allah le tout puissant. Mais en ces nuits hivernales, nos concitoyens, ces musulmans sérieux et fiers, enterrent leurs valeurs dans leur sommeil pour ne penser qu’à leurs gueules. Cette âme musulmane charitable, Khalti Fatouma ne l’a pas trouvée lorsqu’elle creuvait de froid dans cette cage d’escalier désertée même par les chats et les rats.

Ce conservatisme religieux qui fait la fierté de notre société n’a pas pointé son nez cette nuit-là pour secourir cette vieille femme dont les veines se sont congelées du fait que personne ne lui ait offert une simple et unique couverture à défaut de l’héberger dans un lit chaud.

La mort de Khalti Fatoume est une triste et sinistre image reflétant cet individualisme  qui anime profondément la bonne et conservatrice société algérienne. Un individualisme entretenu comme un brasier qui éteint la dernière chandelle d’humanisme dans le fort intérieur de nos compatriotes. Après la mort, ou l’assassinat, de Khalti Fatouma, il y aura toujours une espèce de honte à voir nos compatriotes exprimer leur attachement à cette universelle foi musulmane alors qu’en vérité, leur seule religion est cet individualisme misérable qui assassine les plus fragiles…