La douleur et la maladie pour les uns, « Madame Lilly » pour les autres Par Abdou Semmar

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Lilly. Non, ce n’est pas le nom d’une maîtresse qui fait fantasmer nos dirigeants. Non, ce n’est pas le nom d’une femme que se disputent nos puissants responsables. Lilly, ce n’est pas, non plus, le nom d’une vamp qui excite tant nos gouvernants qu’elle les pousser à voler dans nos caisses pour s’offrir ses faveurs. Non, ce n’est malheureusement pas ça du tout. Lilly est tout simplement le nom d’une grave affaire qui jette le trouble dans le secteur de la Santé dans notre pays. Oui, c’est un scandale nettement plus grave que les scandales sexuels qui préoccupent une certaine presse et quelques-uns de nos décideurs.

Lilly est un groupe pharmaceutique américain. Eli Lilly and Company est son nom exact. Classé dixième mondial dans la très stratégique industrie pharmaceutique, Lilly est le fabricant d’un médicament incontournable pour de nombreuses femmes : le « Evista ». Il s’agit d’un médicament incontournable dans le traitement et la prévention de l’ostéoporose chez les femmes ménopausées. Ce médicament est prescrit à de nombreuses algériennes. Sans l’Evista, une patiente souffrant de symptômes de la ménopause peut subir des effets désastreux notamment au niveau de son utérus et son sein.  Ce médicament permet aussi de faire face aux risques cardiovasculaires. L’Evista rend la vie plus facile à de nombreuses femmes. Sauf qu’en Algérie, ce précieux médicament n’est plus disponible au niveau de nos pharmacies et hôpitaux. Rupture de stock à cause d’une demande excessive ? Non, même pas ça ! L’Evista a été interdit d’importation par le ministère de la Santé puisqu’un étrange laboratoire local s’est engagé à le fabriquer en Algérie.

Un ultime espoir: un grand projet pour l’industrie pharmaceutique algérienne à qui incombe la très délicate mission de réduire la facture de nos importations de médicaments qui s’est élevée à 468,6 millions de dollars durant les quatre premiers mois de 2015. L’année passée, le montant de cette facture a atteint presque les deux milliards de dollars. Fabriquer un médicament en Algérie pour cesser son importation. Quel noble et louable défi. Sauf que ce très sérieux défi nécessite une véritable organisation et tout un processus d’accompagnement pour pouvoir le relever.

Et au ministère de la Santé, nos brillants responsables n’ont pris aucune mesure concrète et sérieuse pour vérifier les capacités de production de l’opérateur local. Résultat des courses : l’Evista algérien n’arrive presque jamais dans les pharmacies et les hôpitaux. Il est l’objet d’une grave pénurie et des milliers d’Algériennes souffrant le martyr se retrouvent abandonnées à leur triste sort. Et pendant ce temps, que fait un haut responsable du ministère de la Santé ? Il recourt aux privilèges procurés par sa position pour soulager les patients de sa propre famille. Il fait pression sur les représentants du laboratoire américain Eli Lilly en Algérie pour qu’ils lui fournissent «quelques boites d’Evista». « Je sais que vous en avez encore dans vos stocks», peste notre haut responsable qui va, ainsi, se procurer ce précieux médicament pour soigner ses proches. Et qu’en est-il des autres pauvres patients qui ne connaissent pas madame Lilly ? Eh bien qu’ils prennent leur mal en patience ! C’est du moins ce que semblent vouloir nous dire les dirigeants du ministère de la Santé puisqu’ils n’ont même pris conscience des enjeux de ce projet de fabrication de l’Evista. Ils n’ont même pas imaginé des solutions de crise au cas où l’opérateur local peine à produire les quantités indispensables. Pis, ils n’ont même pas pris en considération les dangers et les risques qu’encourent ces patientes si, par malheur, une pénurie de l’Evista venait à les frapper de plein fouet. En plus de cela, une législation archaïque menace continuellement la vies des malades. Preuve en est, aujourd’hui encore en 2015, pour enregistrer un médicament en Algérie, il faut patienter presque quatre ans, alors que la norme mondiale ne dépasse pas les deux ans. Pour faire face aux situations d’urgence, l’arrêté  85 du ministère de la Santé permet à la Pharmacie Centrale des Hôpitaux (PCH) d’importer des médicaments sans les enregistrer ! Si, par malheur, un médicament ne correspond pas aux précautions thérapeutiques, qui va protéger les malades algériens contre un risque de décès ? Nul le sait. En tout cas pas le ministre de la Santé.

En réalité, la vie des Algériens, les citoyens ordinaires, les zawalis, les personnes qui n’ont ni fortune, ni connaissance, ni un quelconque appui bien placé, n’entrent pas en ligne de compte pour nos dirigeants qui planifient des décisions stratégiques sans  aucune étude préalable. Une mauvaise gouvernance crasse qui met en péril des vies humaines puisque la pénurie des médicaments touche également des médicaments indispensables lorsque le pronostic vital est en jeu comme les anticancéreux. Qui s’en soucie au sommet de l’Etat ? Presque personne. Car là-haut, ils connaissent tous la truculente «Madame Lilly»….