Comment passer de l’autoritarisme à la démocratie ? La voilà la véritable question à laquelle l’Algérie devra répondre sans aucun faux fuyant. Mais pour prendre à bras le corps une telle problématique, devenue une véritable urgence existentielle, l’Algérie doit se donner les moyens de réduire ces risques de crises sociopolitiques que génèrent les dysfonctionnements d’un régime politique régi par des rapports de force obéissant à une logique militaire.
Une logique militaire qui empêche tout espoir de démocratisation puisqu’elle délégitime au préalable toute remise en cause les prérogatives d’une nomenklatura militaire qui se targue publiquement d’être la seule à même de protéger l’unité du pays. Oui, l’unité du pays, cet argument sacré, à travers lequel on nous ferme définitivement la bouche à chaque fois que nous osons s’interroger sur le poids de la sécurité militaire et de l’Etat-Major sur la vie politique de notre pays. Et pourtant, en 2014, comment peut-on faire croire à une société composée de 75 % de jeunes de moins de 35 ans que la stabilité est uniquement du ressort de services secrets des divisions blindées d’une armée ? L’Algérien surfe aujourd’hui sur internet. Il voit l’extraordinaire évolution de plusieurs pays asiatiques et latino-américains. Il lit et apprend que la croissance économique, l’Etat de droit, la transparence dans la gestion des affaires publiques, la bonne gouvernance, la représentativité politique légitimée par les urnes, et l’investissement dans les programmes de recherches offrent à un pays une voie vers le développement. Partout dans le monde, les régimes militarisés enferment leurs populations dans le sous-développement et l’isolement international. Il n’y en a aucun, absolument aucun, régime militaire qui a réussi à résoudre l’équation du développement. Nous l’avons bien constaté en Birmanie, Corée du Nord, l’Angola et la tragédie syrienne nous l’apprend chaque jour.
Là où règne la logique militaire, là où elle réglemente les rapports sociaux, politiques et économiques, il y a faillite, dérives autocratiques, sous-développement et crise économique. En dépit de tous ces exemples décourageants, en Algérie on continue à défendre un modèle où l’armée doit être à l’abri de tout contrôle, de toute loi, de toute législation et, le pire de tout cela, de toute critique !
Le départ de Bouteflika : une évidence. Mais celui des dirigeants du DRS, non ?
Si aujourd’hui, le départ d’Abdelaziz Bouteflika, malade, fatigué et contesté, est devenue presqu’une évidence, l’alternative à un régime semi-militaire où les autorités civiles doivent uniquement distribuer du pain, du lait et distribuer des logements, n’alimente toujours pas un débat sérieux en Algérie. Au contraire, la majorité des médias algériens, inondés de publicités gouvernementales et privées aux connexions prouvées et assumées avec les autorités politiques, diabolise toute personne qui ose sortir des sentiers battus pour réclamer le véritable retour des décideurs militaires dans les casernes.
Des décideurs militaires qui parlent maintenant publiquement et menacent tous les Algériens d’une tragédie si, par malheur, nous tentons de revoir les missions de certaines structures militaires. C’est, d’ailleurs, dans ce cadre que s’inscrit la sortie médiatique du général à la retraite Hocine Benhadid. Faire peur aux Algériens, les terrifier, les inquiéter. La logique militaire sous le couvert du sentiment sécuritaire sape tout effort de «démilitarisation de la vie politique». Sinon comment expliquer que ce général puisse bénéficier d’une tribune publique dans les deux plus importants quotidiens nationaux pour affirmer tout haut que le patron des services secrets, le général Toufik en poste depuis plus de 23 ans, soit presque 10 ans de plus que Bouteflika, personne n’a le droit de l’enlever, de toucher à ses prérogatives ou de lui exiger un bilan.
A 74 ans, le général Toufik doit jouir d’une impunité sans pareille. C’est un super-citoyen et tous les Algériens doivent le comprendre et se résoudre à l’accepter. Ces paroles n’ont pas été prononcées dans les années 70 ou 80, mais en 2014. Oui, aujourd’hui même, des généraux, partis politiques et médias nous incitent à respecter la prééminence du militaire sur le politique. Au nom de quoi ? Au nom de la sacro-sainte stabilité. Et la corruption, la dépravation financière, les détournements des deniers publics, de tous ces fléaux dégoûtants qui rongent notre pays, qui en est responsable ? Le clan Bouteflika et son « filou » jeune frère Saïd. Incroyable ! Mais où sont donc nos glorieux responsables et dirigeants du DRS pour les arrêter et sauver le pays ? N’a-t-on dit qu’ils sont les seuls derniers remparts du pays ?
Il n’y a pas de clans, mais juste une seule meute de loups assoiffés de « sang noir »
Il est temps d’arrêter d’insulter l’intelligence des Algériens qui savent bien qu’en matière de corruption et de détournement, il n’y a pas de clans, mais juste une seule meute de loups assoiffés de « sang noir », à savoir le pétrole. Le général Toufik ou le Président Bouteflika, tous les deux sont les deux facettes d’un même médaillon. Un médaillon qui ne brille plus. Les deux visages d’un régime qui utilise savamment bien la militarisation excessive des rapports politiques pour accentuer son pouvoir. Une militarisation qui fournit la nécessaire obscurité et discrétion pour commettre les plus vils détournements.
L’Algérie a besoin en urgence de s’inscrire dans un programme de «désarmement des différentes forces politiques» dont les parrains sont impliqués dans un appui logistique opérationnel aux diverses combines mafieuses qui pourrissent, tel un abcès profond, notre économie nationale. L’instauration de la démocratie en Algérie s’inscrit donc dans la perspective d’une redynamisation du jeu politique et d’une collaboration de toutes les forces vives de la société algérienne. Il s’agit au final de démilitariser la politique et permettre aux Algériens de jouir de leurs droits de choisir librement leurs dirigeants et surtout de garantir la paix et la sécurité nationale par un processus de développement économique et une juste répartition des richesses nationales. Par cette implication des acteurs non-militaires, on pourra enfin assister à une politique de gestion efficiente des crises sociopolitiques. A défaut, on continuera se diviser pour défendre les intérêts d’un clan au détriment d’un autre et l’Algérie perdra de l’énergie, de l’argent, des compétences précieuses et surtout un espoir d’une transition pacifique.