La solidarité à l’épreuve du système  Par Aziz Benyahia

Redaction

L’initiative du couffin du ramadhan procède d’une intention louable. C’est la concrétisation d’une des valeurs cardinales de l’islam, à savoir la solidarité. Cependant le contexte particulier du ramadhan donne encore plus de valeur au geste. Des familles nécessiteuses reçoivent des denrées alimentaires acquises avec les deniers publics et les dons des particuliers. L’initiative est rassurante et utile sur le plan pédagogique, aussi bien pour les parents que pour les enfants.

Mais, comme dans toutes les problématiques liées au monde musulman, il y a un « mais ». Des gens sans scrupules et sans égard pour la sacralité du mois de ramadhan, en profitent pour détourner une bonne partie de ces dons. C’est plus grave que le vol car la victime n’est pas un individu mais la collectivité tout entière. Est-ce que leurs auteurs sont conscients de la gravité de leur acte ? Il est permis d’en douter eu égard au discours ambiant dans les mosquées où il arrive que certains imams tiennent des discours pour le moins ambigus.

Dans l’une des mosquées de la région de Birtouta, un homme m’a rapporté que l’imam avait dit dans son prêche que c’était moins grave de prendre quelques mètres du terrain agricole appartenant à l’Etat pour agrandir sa maison que de piquer une pomme sur l’arbre du voisin. Le terrain agricole appartient à tout le monde et donc je prends ma part quitte à régulariser par la suite, alors que le pommier appartient à une personne. Voler un fruit c’est plus grave que de s’approprier un bout de terrain. Notre imam, en arrivant ainsi à hiérarchiser le péché et à en relativiser la portée, ne fait que traduire à sa façon la mentalité ambiante. J’ai fini par rencontrer l’imam pour échanger sur le sujet. C’était à la fin de la prière du vendredi. Il me désigne la salle et me dit : « Ici, tout le monde a pris un bout de terrain. Si j’avais prétendu le contraire, ils m’auraient lynché ». L’explication n’a pas été trop longue. Le mal est donc beaucoup plus profond qu’on ne pouvait l’imaginer et le remède n’est pas pour demain.

Sans vouloir exonérer l’imam et pour être tout à fait juste, on ne peut que constater que le prédicateur censé dire la bonne parole est lui-même une victime collatérale du système ambiant. D’une part, parce que son niveau d’instruction et de formation est à l’image de tout le reste – on ne peut avoir de mauvais médecins et de bons infirmiers. Et d’autre part parce que grâce aux médias et notamment à la presse écrite et au Web, nous avons tous les jours des multitudes d’exemples qui nous confirment que le vol, la corruption et la prébende sont en passe de devenir un sport national. Sans compter que personne ne se fait plus d’illusion sur l’indépendance de la justice et sur un système de gouvernance confisqué depuis des lustres par une oligarchie qui a intérêt à ce que le plus grand nombre de challengers soit « mouillé ».

Par ailleurs et pour revenir au couffin du ramadhan, n’y a-t-il pas vraiment d’autres moyens d’exprimer cette solidarité effective, sans toucher à la dignité de ces familles nécessiteuses et sans tenter ces charognards qui n’en loupent pas une pour se nourrir sur le dos de la bête blessée ? Les services des APC pourraient bien porter à domicile ou mettre à disposition les colis alimentaires destinés aux familles dûment répertoriées et enregistrées auprès du service social. Ainsi on nous épargnerait ces lamentables bousculades et surtout l’effet désastreux auprès des citoyens qui risquent de s’habituer, par lassitude là aussi, à des pratiques interdites par la loi et par Dieu.

 

 

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