La terrible déchéance de notre « santé militaire » Par Abdou Semmar

Redaction

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Nous sommes en 2005. Abdelaziz Bouteflika, le Président de la République, et le chef des armées, tombe gravement malade. Il souffre d’un ulcère hémorragique. Le Professeur Messaoud Zitouni, médecin traitant du chef de l’Etat, se déplace en toute hâte à l’hôpital militaire d’Ain Naâdja où Abdelaziz Boueflika est hospitalisé en urgence. Le célèbre chirurgien, réputé pour être parmi les meilleurs spécialistes de la médecine interne en Algérie, arrive au chevet du président malade et conclut qu’il doit être opéré sans attendre. Cependant, après avoir inspecté le bloc opératoire du meilleur hôpital militaire de toute l’Algérie, le professeur Zitouni recommande rapidement le transfert d’Abdelaziz Bouteflika en France, pour que ses jours ne soient pas en danger.

Le président algérien se retrouve ainsi à Val-de-Grâce, l’hôpital militaire français. C’est ainsi que commence le long et haletant feuilleton de l’hospitalisation d’Abdelaziz Bouteflika en Hexagone. Ce feuilleton met, malheureusement, en relief la terrible déchéance de notre « santé militaire ». Naguère nos hôpitaux de l’armée incarnaient un système de santé d’excellence. L’Algérie était citée en exemple et la médecine militaire avait ses lettres de noblesse. C’était une fierté nationale. Dans un passé pas si lointain, on se bousculait pour se soigner à l’hôpital d’Ain Naâdja. Les Algériens faisaient des pieds et des mains pour bénéficier d’une prise en charge dans cet établissement.

Aujourd’hui, le Val-de-Grâce algérien a perdu de son prestige. Pis, il a dilapidé toute sa crédibilité. Aucun haut gradé de l’armée ou un cadre supérieur de la Nation ne se soigne à Ain Naâdja ou dans un autre hôpital similaire. Ils partent tous à l’étranger. En France en particulier, où ils trouvent un personnel médical de haut rang et reçoivent des soins de grande qualité. Après avoir perdu ses meilleurs médecins et sa discipline légendaire ainsi que son sens de l’organisation, plus aucun dirigeant ne daigne mettre ses pieds à Ain Naâdja. En dépit de sa propreté relative et de la disponibilité des équipements médicaux, les soins dispensés dans cet hôpital sont loin de correspondre aux exigences médicales modernes.

Preuve en est, le commandant des forces navales algérienne, le général-major Malek Necib, est décédé en février 2015 en France, après avoir été admis et soigné à l’hôpital Cochin de Paris. Bien avant lui, le colonel Mohamed Benmoussa, premier commandant en chef de la marine nationale après l’indépendance, avait poussé aussi son dernier soupir à Paris, des suites d’une longue maladie, à l’âge de 67 ans. En décembre 2014, le wali d’Annaba, Mohamed Mounib Sendid, a rendu l’âme lui-aussi à Paris en France, après avoir été transféré dans un établissement parisien. En 2013, l’ancien président du Haut comité d’Etat, Ali Kafi, est mort à Genève en Suisse. La liste des hauts responsables algériens morts à l’étranger sans avoir avoir été hospitalisés à l’hôpital militaire d’Ain Naâdja peut s’allonger indéfiniment. Celle des hauts responsables encore en vie et qui se déplacent en Europe pour le moindre bobo est encore plus longue. Souffrant d’une maladie nécessitant un traitement ophtalmologique, Abdelaziz Belkhadem, l’ancien chef du gouvernement, s’est déplacé jusqu’en Espagne pour recevoir des soins. Khaled Nezzar, l’ancien ministre de la Défense, s’est soigné en 2011 en Suisse.

Même les citoyens ordinaires et modestes fuient les hôpitaux militaires et ne recourent plus au passe-droits pour trouver une place dans ces établissements. De l’aveu même de plusieurs commandants et colonels de l’armée, il est préférable de faire la queue dans un hôpital civil abandonné à l’anarchie que de se soigner dans un hôpital militaire. La chute est vertigineuse. A quoi est-elle due ?

Tout commence entre 1988-1989 lorsque sous la houlette du général Mohamed Touati, à l’époque directeur de la santé militaire au niveau de l’ANP. L’excellence, érigée en règle dans le fonctionnement des hôpitaux militaires, s’effrite pour laisser place aux pratiques archaïques telles que le favoritisme, le népotisme et le clanisme. Les critères d’accès aux études de médecine militaire furent petit à petit bafoués. Le sérieux et la discipline abandonnés. Et le cousin ou fils de tel ou tel général, la maîtresse de tel ou tel colonel, le fils de l’ami de tel ou tel commandant, se sont retrouvés admis en médecine militaire sans prendre en considération leur véritable potentiel scolaire.

Les bons médecins sont démotivés, désillusionnés. Ils se sentent trahis, traqués et incompris. Ils quittent les uns après les autres les hôpitaux militaires. Beaucoup partent à l’étranger pour ne plus revenir. D’autres fondent des cliniques privées laissant derrière eux une santé militaire en perte de repères et de compétences. La déchéance dure depuis des années et personne n’ose lancer un signal de détresse. Ni véritable enquête ni sursaut d’honneur au sein de notre armée. L’hôpital d’Ain Naâdja, comme tous les autres hôpitaux militaires, s’enfonce dans l’inefficacité et devient la risée de l’opinion publique. Lamentable!