Une voix tremblante, un visage défait, des yeux aveuglés par la tristesse, des rides dessinés par la « hogra ». Des cheveux blanchis par le poids des inégalités. Un corps chétif écrasé par les colères longtemps refoulées. Le papa de Karim Messaoudi, ce compatriote atteint de troubles psychiques abandonné à son sort près d’un oued à Blida, fixe les Algériens droit dans les yeux dans un émouvant reportage citoyen qui a soulevé une vague d’indignation en Algérie.
Devant la caméra, ce père de 79 ans, malade, diminué, fatigué et épuisé, raconte toutes ses misères, tous ses malheurs. Dans son bidonville construit sur les hauteurs d’Alger, tout près de la basilique Notre-Dame d’Afrique, ce père algérien parle de ce que son enfant a subi comme exclusion dans les différents hôpitaux de la capitale. Jeté à la rue par le personnel médical qui n’a pas souhaité le garder à l’hôpital de Chéraga, Karim Messaoudi s’est retrouvé blessé, ensanglanté par l’indifférence, le mépris. Parce qu’il est fragile, parce qu’il est atteint d’une maladie mentale, on ne veut pas lui reconnaître le droit à la dignité. Livré aux fourmis et aux vers, Karim a failli mourir. Il aura fallu que les caméras d’une chaîne TV privée soient braquées sur lui pour qu’une main salvatrice lui soit tendue.
Une vie sauvée, mais une âme condamnée à l’indignité. Cet algérien atteint d’une maladie mentale n’a bénéficié ni d’une prise en charge médicale, ni de la moindre considération de la part des autorités compétentes. Tel un damné, il erre entre les mûrs du bidonville de sa famille à la recherche d’un sens à sa triste existence. Son père accablé exprime sa rage en criant à l’injustice. Il appelle à la responsabilité morale de l’Etat. Il interpelle notre société entière pour qu’elle cesse de martyriser ce compatriote marginalisé. Les marginaux. Cette infortunée famille Messaoudi, elle en est la digne ambassadrice. L’Algérie de la famille Messaoudi, c’est l’Algérie de ces millions de marginaux, de ces démunis sans-voix. « Je ne veux pas de leur argent. Je veux uniquement qu’il traite mon fils comme un être humain ». Les mots du père Messaoudi résument à eux-seuls la mentalité de cette Algérie d’en bas. Cette Algérie des « mahgourines », des « zawalias », des citoyens de deuxième, voire de troisième zone.
Une Algérie victime d’une guerre sans merci que lui déclenche régulièrement ses élites dirigeantes. Ces dernières veulent écraser ces petites gens, les jeter définitivement à la mer de l’oubli, les balancer par-delà les grillages de nos frontières. Pourquoi ? Parce que les Messaoudi et leurs semblables ne s’achètent pas à coup de logements sociaux, de subventions onéreuses et de promesses électoralistes. Les Messaoudi et leurs semblables réclament leur dignité, leurs droits sociaux. Ils clament leur conscience et ne courbent pas l »échine. Ces pauvres, très pauvres qui refusent l’enrichissement facile au détriment de leurs consciences, l’Algérie d’en haut n’en veut point. L’Algérie de nos dirigeants n’aiment pas l’Algérie des Messaoudi parce que cette Algérie-là n’a pas peur du froid, de la faim, des privations et de la précarité. Cette Algérie-là ne s’agenouillera jamais devant l’injustice. Et on lui fait payer très cher ce courage…
Posted by Elias Filali on mardi 25 août 2015