L’Algérie est-elle en train de rater le train des IDE mondiaux ?

Redaction

HaddoucheL’image peu attractive de l’Algérie en tant que terre d’accueil des investisseurs étrangers serait-elle  en train de changer ? Notre pays est-il sur le point de devenir  un véritable eldorado pour les IDE ? Les investisseurs étrangers sont-ils en train de se ruer à nos frontières ?

C’est en tout cas le tableau surréaliste dressé avec beaucoup de conviction et de constance au cours des dernières années  par le directeur général de l’Agence Nationale de Developpement de l’Investissement (Andi), Abdelkrim Mansouri, qui affirme, à chacune de ses interventions publiques, que l’organisme qu’il dirige enregistre “un flux sans précédent” de projets d’investissement étrangers. Pour ce haut fonctionnaire, qui occupe, depuis de nombreuses années,  à la tête de l’Andi un poste d’observation privilégié, “les investissements directs étrangers (IDE) en Algérie avaient déjà atteint, rien que pour l’année 2011, un montant record, voire historique, de 435 milliards DA (près de 6 milliards de dollars), ce qui prouve selon lui « l’attractivité du pays qui offre dans ce domaine de mieux en mieux les conditions favorables pour s’y établir et exercer une activité ». Au titre cette fois de l’année 2013, il annonçait encore récemment, sans craindre d’être taxé d’éxagération, des «  investissements en hausse de près de 500% ».  “Nous ne sommes pas boudés”, a-t-il soutenu, en réponse à une question sur le flux des IDE en Algérie ajoutant que c’est plutôt l’inverse qui se produit. “Au contraire, nous assistons à un retour significatif des investissements étrangers”, s’est-il exclamé avec optimisme. Ce niveau d’investissement n’a “jamais été enregistré auparavant”, a expliqué M. Mansouri lors de son passage dans une émission de la Radio nationale. Pour lui, ce « seuil record d’IDE » confirme l’“efficacité” des mesures prises par les pouvoirs publics dans le domaine de l’investissement, qu’il soit étranger ou national. En réponse à une question sur la règle très controversée du 51/49 régissant les IDE, M. Mansouri affirme également  qu’“elle a été comprise par les partenaires étrangers de l’Algérie, mis à part quelques PME étrangères”.

“Bousculade” aux guichets de l’Andi

Les chiffres mentionnés par M. Mansouri sont d’autant plus remarquables que l’organisme qu’il dirige n’enregistre pas les projets relevant du secteur des hydrocarbures et qu’ils concernent donc, selon lui, “surtout des projets pour la fabrication de médicaments, de matériaux de construction et d’industries diverses”.  La bousculade aux guichets de l’Andi est d’ailleurs telle, que pour mettre de l’ordre dans les files d’attente envahies par les investisseurs étrangers impatients de s’installer dans notre pays , les services de M. Mansouri sont obligés de rappeler que l’Algérie  a “une politique sélective en matière d’IDE”. “Il est vrai que nous sommes un pays ouvert, mais nous voulons recevoir de l’investissement direct étranger qui intègre l’économie nationale, créé de l’emploi et assure le transfert de technologie”, a-t-il souligné. On aura bien sûr compris que si on veut avoir des informations sérieuses et crédibles  sur les tendances récentes de l’investissement étranger en Algérie, il vaut mieux, par les temps qui courent, ne pas trop compter sur les agences placées sous la tutelle directe du premier ministère.

De la Banque d’Algérie à la Cnuced 

En réalité, les sources crédibles en matière de flux d’investissement internationaux sont aujourd’hui assez bien connues et identifiées. De la Banque d’Algérie à la Cnuced en passant plus récemment par le réseau Anima, qui a néanmoins ses particularités et ses limites qui tiennent essentiellement à la méthode utilisée. Parmi ces sources, on peut mentionner tout d’abord pour notre pays les notes de conjoncture de la Banque d’Algérie qui livrent des informations récentes sur les entrées effectives de capitaux au titre des IDE, mais ont pour principal défaut de ne pas détailler suffisamment la structure et l’orientation de ces IDE. Les différentes notes  de conjoncture livrées par la banque centrale au cours des dernières années sont  à cet égard tout à fait illustratives. Elle relève de façon souvent  très lapidaire que les investissements directs étrangers bruts ont connus une  baisse régulière au cours des dernières années et sont  passés d’un record de 2,9 milliard de dollars en 2009 à 1,7 milliards de dollars en 2013. Notons également que ces chiffres qui traduisent les performances moyennes des dernières années tiennent compte des investissements réalisés dans le secteur des hydrocarbures. On voit qu’on est très loin des annonces faramineuses de l’Andi pour le seul secteur hors hydrocarbures.

Plus de la moitié des IDE mondiaux vont vers le Sud

Considéré comme la principale référence internationale en matière d’évaluation des flux financiers d’investissement direct étranger (IDE) entre les pays du monde, le “rapport mondial des investissements” 2014 de la Cnuced est encore tout chaud et a été publié voici quelques jours. Il montre que malgré la crise économique, les IDE dans le monde  continuent à augmenter à un  rythme très soutenu, une tendance générale qui recouvre cependant de très fortes disparités régionales. On retiendra principalement que les pays en développement attirent désormais, ainsi que c’est  le cas depuis  2010, un peu plus de la moitié (54% en 2013) des flux d’IDE mondiaux et que l’Asie en développement attire maintenant plus d’IDE  que l’UE ou les États-Unis. Une conclusion moins souvent relevée est que la part des pays en développement et en transition en tant qu’émetteur d’IDE est également en constante augmentation  et que l’année dernière  leurs investissements à l’étranger  ont représenté un record de 39% des sorties mondiales d’IDE – contre seulement 12% au début des années 2000. 

L’Algérie, un pays qui sous performe

Sur cette toile de fond mondiale de croissance rapide des flux d’investissements entrant et sortant, si on en juge par les derniers rapports de la CNUCED,  l’Algérie apparaît à de nombreux égards  au cours des dernières années comme un pays qui  « sous performe » tant au niveau du stock d’IDE rapporté au PIB qu’au niveau de la contribution de ces IDE au développement économique du pays.

 En Algérie les investissements directs étrangers (IDE)  ont bien enregistré une légère hausse en 2013 en s’établissant à 1,7 milliard de dollars contre 1,5 milliard de dollars en 2012, soit une augmentation de 13%.Le document de la CNUCED relève d’ailleurs que « le gouvernement algérien a intensifié les efforts pour réformer le marché algérien et attirer davantage d’investissements étrangers ». Il cite l’exemple de la Société de gestion des participations des industries manufacturières qui a conclu un accord avec une société turque, Taypa Tekstil Giyim. L’objectif étant «  de promouvoir le partenariat public-privé en Algérie à travers la mise en place des joint-ventures qui associent plusieurs grandes entreprises publiques  avec des partenaires internationaux  ».

La bonne nouvelle est donc que la baisse constante des IDE enregistrée depuis 2009, à contre courant des tendances internationales, semble donc enrayée mais on reste cependant assez loin des 2,9 milliards de dollars enregistrés en 2009 ou même des 2,2 milliards de 2010 et surtout des résultats obtenus au cours des dernières années par des pays voisins ou comparables qui ont pleinement exploité les nouvelles orientations des flux internationaux de capitaux plus favorables aux pays du Sud.

Seulement  13éme en Afrique

Avec un PIB qui est le 2éme ou le 3éme du continent, l’Algérie se classe seulement en  13éme  position sur les 54 pays du continent en termes de montant des IDE. Selon le dernier rapport de l’organisme onusien basé à Genève, les entrées d’investissements directs étrangers en Afrique, représentent  au total 57 milliards de dollars en 2013, ce qui s’explique notamment par « des investissements internationaux et régionaux visant à tirer parti de nouveaux débouchés ainsi que par les investissements dans les infrastructures ». Notre pays reste très loin des  trois plus grands récipiendaires des investissements étrangers à l’échelle africaine qui sont l’Afrique du Sud (8,2 milliards de dollars), le Mozambique (6 milliards de dollars) et le Nigeria (5,6 milliards de dollars). En Égypte, le montant des IDE − 5,6 milliards de dollars − a diminué de 19%, mais demeure le plus élevé en Afrique du Nord. La plupart des pays voisins ont enregistré l’année dernière  une hausse des investissements étrangers. Le Maroc et le Soudan ont tous deux réussi à attirer près  de 3,5 milliards de dollars d’investissement avec une croissance supérieure à 20% pour notre voisin de l’Ouest qui, à l’inverse de notre pays, semble avoir au cours des dernières années, tiré particulièrement son épingle du jeu dans la nouvelle distribution internationale des IDE. 

Les industries extractives en recul …sauf en Algérie

À l’échelle du continent africain, le bilan de la Cnuced relève une autre tendance de fond . Les industries extractives (mines et hydrocarbures) attirent toujours les IDE, mais la croissance économique et l’émergence d’une classe moyenne dans les pays en transition favorisent la croissance des investissements dans d’autres secteurs, notamment celui des services (banques, distribution et télécommunications). De fait, les IDE dans les matières premières arrivent bien toujours en 1ére position  (25% environ)  mais sont désormais talonnés par les télécoms,l’énergie, l’immobilier, le commerce et l’industrie. Dans ce domaine également, la tendance à la diversification sectorielle des investissements est beaucoup  plus sensible au Maroc et en Tunisie qu’en Algérie où les industries extractives continuent d’attirer la plus grande part des IDE ainsi que le signale les derniers rapports de la Banque d’Algérie.

L es IDE intra régionaux en hausse sensible mais pas au Maghreb 

L’Algérie et ses voisins immédiats restent également à l’écart d’une dernière tendance importante mise en évidence par les experts de la CNUCED  à propos des flux d’IDE en direction du continent africain.Il s’agit de l’importance croissante des flux d’investissement intra régionaux. En 2013, les investissements directs étrangers en Afrique de l’Est ont augmenté de 15% pour atteindre 6,2 milliards de dollars, du fait de l’augmentation des entrées d’IDE au Kenya et en Éthiopie. En Afrique australe, les entrées d’IDE ont presque doublé, leur volume étant passé à 13 milliards de dollars, ce qui s’explique surtout par des entrées sans précédent en Afrique du Sud et au Mozambique. Les investissements intra-africains sont pour une bonne part responsables de ces excellents résultats et  augmentent, notamment du fait des Sociétés transnationales  établies en Afrique du Sud, au Kenya et au Nigeria. De 2009 à 2013, 18% des annonces d’investissements étrangers de création de capacités provenaient de pays africains, contre moins de 10% pendant la période 2003-2008. Des projets intra-africains qui ont la particularité de  se concentrer également  dans le secteur manufacturier.

Pendant ce temps la coopération régionale au Maghreb est toujours au point mort , M. Aderrahmane Hadj Nacer est l’un de ces très rares experts nationaux à avoir réagi dans la période récente par rapport à la perspective d’une aide financière à la Tunisie. Son point de vue est comme à l’accoutumée très stimulant et assez fortement critique vis-à-vis de la pratique actuelle des autorités algériennes. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie plaide en faveur d’“une plus grande imbrication des économies algérienne et tunisienne”. Pour Hadj Nacer, l’Algérie doit sans aucun doute “faire un geste vis-à-vis de la Tunisie, mais il ne suffit pas de prêter de l’argent”. Il invite les autorités algériennes à une démarche de coopération plus ambitieuse qui doit consister à “prendre des participations dans l’économie tunisienne” en indiquant, à titre d’exemple, l’encouragement des partenariats avec des entreprises privées tunisiennes dans des domaines comme le tourisme où nos voisins de l’est ont développé une vraie expertise.

Hassan Haddouche