Habituellement, je suis heureux chaque fois que je relève dans l’actualité le nom d’un citoyen du tiers-monde, et particulièrement d’un musulman, qui s’est distingué dans un domaine qui fait honneur aux damnés de la terre comme nous appelait Frantz Fanon. De préférence dans le domaine scientifique et culturel en général ou en matière d’accès à des postes prestigieux dans les instances internationales. Bref à chaque reconnaissance de la compétence et de la réussite dont s’honorent les miens, je jubile, je reprends espoir et je me dis que rien n’est perdu, et qu’il suffit de travailler pour réussir.
Qu’un de nos pays réussisse l’organisation d’un colloque international, d’une manifestation sportive ou d’un symposium ; qu’il fasse preuve de compétence et du sens de l’organisation ou qu’il participe à l’émergence d’idées et de personnalités de premier plan et me voilà fier, voire à la limite de l’arrogance et de la morgue. Je m’imagine faisant une espèce de pied de nez à ces pays de l’Occident qui, après nous avoir estampillés handicapés du bulbe et déclarés inaptes au progrès, nous ont condamnés aux oubliettes. Ou alors j’imagine ma jubilation, faisant comme une petite nique à leurs certitudes en attendant bien sûr les victoires à venir de nos scientifiques et de nos intelligences.
Mais je me rends à la réalité aussitôt et refuse de me faire trop d’illusions. Ainsi je revendique suffisamment de lucidité et de capacité de discernement pour penser que l’attribution de l’organisation du Mondial de football au Qatar n’est rien d’autre que la victoire de l’argent facile et de la fatuité humaine. Et non un encouragement à un pays réputé pour son dynamisme en matière d’activités sportives.
Tout comme je dois avouer que je ne pouvais imaginer que l’Organisation des Nations Unies soit polluée par l’argent au point de confier la « Présidence d’une commission du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU » à l’Arabie Saoudite. Qui plus est au moment où les autorités sont sur le point de passer outre la pression internationale en faveur du jeune Ali Nimr. Ce jeune homme qui s’est fait prendre à l’âge de 17 ans dans une manifestation contre le régime saoudien, risque d’être décapité puis crucifié jusqu’à putréfaction du corps, sur la voie publique, après avoir été torturé.
Nous parlons bien des droits de l’Homme. Et il me semble tout à fait incongru que L’Arabie Saoudite qui s’était abstenue de signer la fameuse charte adoptée en 1948, soit aujourd’hui chargée de veiller au respect des droits de l’Homme, au nom de tous les Etats de la planète. C’est un peu comme si on confiait à Israël la « Commission des Nations Unies pour la protection des enfants victimes de la guerre, des populations déplacées, des réfugiés et de la décolonisation ». Le rapprochement n’est pas juste pour les Saoudiens mais il présente l’avantage de mettre dans le même sac l’ignominie de l’Etat hébreu et le machiavélisme de son homologue saoudien.
On ne peut s’empêcher de penser qu’en confiant une telle mission d’une portée morale universelle à un pays qui, non seulement n’est pas un modèle en matière de respect des droits de l’Homme, mais revendique de surcroît son appartenance à la mouvance la plus terrible du fondamentalisme religieux, les Nations Unies se soient sérieusement fourvoyées. L’idéal de justice sur lequel a été bâtie l’ONU vient d’être sérieusement écorné ainsi que sa crédibilité déjà mise à mal depuis quelques décennies, à cause de sa dépendance de plus en plus évidente des puissances occidentales et des lobbies.
En d’autres circonstances, je me serais réjoui d’une telle promotion d’un pays comme l’Arabie saoudite, dans l’espoir de l’amener à plus d’ouverture et à plus de liberté pour ses citoyens. Mais ce se serait mal connaître les traditions d’un pays qui ne s’encombre d’aucune velléité d’esprit démocratique et qui compte sur sa puissance financière pour amadouer les plus farouches défenseurs de la liberté et du progrès.
Non ! Trois fois non ! Je ne me réjouis pas d’une telle promotion dans le concert des Nations pour un pays dont la religion nous rapproche et nous éloigne à la fois. C’est peut-être une autre manifestation de la schizophrénie dont nous sommes atteints en tant que musulmans.