« Nous n’avons envoyé aucun prophète qui n’ait utilisé la langue de son peuple pour les éclairer » Coran 14/4
Un imam a déclaré récemment en Algérie qu’il était interdit de prononcer le prêche du vendredi dans une langue autre que l’arabe. En l’occurrence, il visait l’usage du Kabyle. Comment faut-il comprendre cet avis et quelle importance lui accorder ?
Compte-tenu de l’usage inconsidéré et pas forcément à bon escient de la parole de l’imam en tant que guide spirituel dans le paysage quotidien, et par conséquent des dérives que cela ne manque pas d’entraîner inévitablement, il serait utile de rappeler un certain nombre de règles et de principes qu’on a souvent tendance à négliger ou qu’on ignore tout simplement.
L’imam, c’est un homme qui est choisi par consensus par l’ensemble des fidèles au sein d’une communauté musulmane, à l’échelle du quartier, du village ou de la ville, pour diriger la prière. Le choix se porte nécessairement sur un homme aux mœurs irréprochables, à la dévotion avérée et connaissant le Coran, le rituel et un minimum de jurisprudence islamique. Il est chargé de guider la prière, prononcer les prêches, donner des « dourouss » (leçons), veiller à l’observation correcte du rituel et répondre aux questions des fidèles relatives à leur vie quotidienne en rapport avec la religion. Autant dire que l’heureux élu devra répondre à ces critères pour mériter le respect et la considération de la communauté des croyants et, dans certaines circonstances, son aide matérielle pour lui garantir les meilleures conditions de vie possible. Cette sélection qui relève de l’initiative humaine collective ne se fait pas toujours dans des conditions idéales et nombreux sont les exemples de choix malheureux et d’échecs patents.
Bien souvent, l’absence de rigueur dans le processus de désignation aboutit à des situations problématiques, lesquelles débouchent sur des conflits aux conséquences toujours regrettables et parfois dramatiques. Nombreux sont les exemples de dérives consécutives aux incompétences des imams et qui ont nécessité des interventions de la part de la tutelle ministérielle chargée du culte ; voire même quelquefois de la part des fidèles eux-mêmes. Malheureusement, il arrive parfois que le mal ne soit pas traité à temps, avec toutes les conséquences que l’on imagine.
Ainsi, quand récemment un imam prend la liberté de demander, au nom de sa foi et au nom de Dieu, la mise à mort d’un autre musulman pour avoir exprimé librement pas ses écrits une opinion qui n’était pas tout à fait conforme à l’étroitesse de la sienne, nous avons affaire, non seulement à une grave entorse à l’éthique même de l’islam, mais aussi à la confusion entre ce qui relève de la justice divine et ce qui relève de la justice des hommes. L’imam s’érige en vicaire de Dieu au nom d’une religion qui n’a pas besoin de clergé et qui est portée par des versets sacrés où il est rappelé que le fidèle n’a de compte à rendre qu’à Dieu, le jour du jugement dernier.
De la même manière et toujours dans le cadre des attributions de l’imam, il est tout aussi surprenant, voire dangereux, d’entendre des imams rendre des jugements jurisprudentiels complètement farfelus, résultats de l’absence ou de l’insuffisance de formation et de culture religieuse.
Le prêche en Kabyle
Ainsi cette dernière saillie d’un imam qui a décrété qu’il était interdit de dire le prêche en Kabyle. S’agit-il d’une lecture très particulière de l’enseignement du Coran ? Auquel cas il serait intéressant de connaître son argumentaire et les justifications de ses assertions. Quelques rappels là-aussi.
La prière collective du vendredi est un moment très important dans la vie du fidèle. Il lui est recommandé de se rendre assez tôt ce jour-là pour la prière collective du « dhohr » afin de lire le Coran, de méditer et surtout d’écouter la leçon ( darss ) de l’imam qui précède le prêche. L’utilité de la leçon est indiscutable car elle permet au fidèle non seulement de compléter sa formation rituelle et consolider sa foi, mais elle lui donne surtout l’occasion de connaître l’avis religieux sur les questions de vie quotidienne. En complément du « darss » et bien souvent sous forme succinte, l’imam prononce son prêche en arabe classique, qui est la langue du Coran. Le prêche signifie dès lors la formalisation résumée et fidèle au rituel, d’un discours largement détaillé dans la langue comprise par l’assistance. Dans les pays non arabophones, le « darss » est donné dans la langue du pays ainsi que le prêche, mais il est précédé de certaines formules introductives dites en arabe. Othmane Ibn Affan (compagnon du Prophète et responsable de la compilation du Coran) nous dit dans une formule sans équivoque : « Dans le prêche du vendredi, ne sont obligatoires dans une formulation en arabe que trois phrases : la « besmala » ( bismillahi errahmani errahim ) la « hamdala » ( el hamdou lillahi…) et la « salate alennabi » ( Essalatou wessalamou…) »
Dieu ordonne à son Prophète (Ass) de s’adresser aux hommes dans la langue qu’ils comprennent : « Nous n’avons envoyé aucun prophète qui n’ait utilisé la langue de son peuple pour les éclairer. » Coran 14/4. Si l’imam kabyle, dans un village kabyle, transmet le message coranique et explicite des versets en Kabyle devant des fidèles qui ne maîtrisent pas l’arabe classique loin s’en faut, il aura parfaitement accompli son devoir. Les formules introductives en arabe auront alors tout simplement complété et respecté le rituel.
Faut-il rappeler, pour mieux convaincre ceux qui, à l’instar de cet imam, seraient tentés de le suivre dans cette interprétation scabreuse, qu’à titre d’exemple, les Turcs ( Empire ottoman ) ont depuis toujours prononcé leurs prêches en turc, qu’il en est de même en Indonésie, en Inde, au Nigéria…où les prêches sont prononcés dans la langue ou les dialectes du pays, et que les musulmans arabophones représentent à peine 1/7ème de la population musulmane globale.
Cela nous renvoie à l’attitude pour le moins arrogante des autorités religieuses dans certains pays arabo-musulmans, qui s’arrogent l’exclusivité de la connaissance du Coran et de l’islam au prétexte de la sacralité de l’arabe en tant que langue du Coran, et que par conséquence, maîtrisant mieux leur langue maternelle, ils seraient mieux disposés à comprendre l’enseignement du Coran. Comme s’il suffisait de parler l’arabe pour être un meilleur musulman. Ce faisant, ils n’ont fait que renier l’histoire de l’évolution de l’Islam en faisant l’impasse sur l’apport considérable de l’Inde, de la Perse, de l’Afghanistan et de la Turquie pour ne citer que quelques pays, et dont les Ulémas et les exégètes ont été à l’origine de l’ouverture du Coran aux autres civilisations.
Par ailleurs et afin de mettre un terme à toute tentation d’introduire le doute dans l’esprit des fidèles, il est nécessaire de rappeler que Dieu dans son message universel rappelle la diversité des peuples et de leur langues : « Et parmi Ses signes, il y a aussi la création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs » Coran 30/23
J’ajouterai enfin ce message de l’imam Ali qui recommande de « s’adresser aux hommes selon leur degré de compréhension ». Autrement dit, point n’est besoin pour l’imam de recourir à des termes difficiles à comprendre ou à des formulations alambiquées ou savantes ; l’essentiel étant qu’il soit bien compris par le plus grand nombre de fidèles, et donc dans une langue comprise par le plus grand nombre.
Sans faire de procès d’intention à l’imam qui a fait cette annonce surprenante dans un but pour le moins incompréhensible, je pense qu’il a dû faire une confusion pour ce qui concerne l’ordre des priorités dans les règles d’accomplissement du devoir religieux et qu’il est victime, comme hélas beaucoup de musulmans depuis l’intrusion d’un « nouvel islam d’importation», de la priorité qui est donnée au visible au détriment de l’essentiel. On observe en effet depuis quelques années dans beaucoup de mosquées chez nous que le fidèle se laisse aller à vérifier l’alignement des orteils et des genoux du voisin plutôt que de se concentrer sur sa prière et de se détacher du mieux qu’il peut de ses soucis quotidiens pour tenter d’aller à la rencontre de son Créateur.
C’est peut-être cette écume des choses et cette approche extérieure et exposée de la pratique religieuse qui est à l’origine de cette surenchère que l’on observe dans l’affichage des convictions, et qui ne peut qu’abuser les hommes dans la pratique sereine de leur foi. Dieu nous recommande d’utiliser la langue du peuple qu’on veut éclairer (Coran 14/4). Chercher à déformer Son message ou le mal interpréter revient à prendre le risque de passer pour hérétique ; ce qui, à Dieu ne plaise, n’est souhaitable pour personne. Enfin, pour terminer, redisons humblement : « Et dit : Dieu ! aide – moi à parfaire ma connaissance »
Aziz Benyahia