Ce n’est pas uniquement une tragédie. C’est d’abord et avant tout un scandale. La mort d’Albert Ebossé Bodjongo, le brillant attaquant de la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), va noircir à jamais l’image du football algérien. Un football malade de ses dirigeants incompétents depuis de nombreuses années. Incompétents et complices de ce crime, car ils n’ont jamais réellement travaillé pour endiguer la violence dans nos stades à travers un plan concret et une gouvernance efficace.
Complices face à une violence devenue endémique, propagée par des supporters frustrés à qui on refuse le statut de citoyen. Des supporters parqués dans des stades abîmés et délabrés. Des stades qui ne répondent à aucune norme de modernité. Des stades transformés en arènes pour laisser ces jeunes exprimer leur révolte contre l’ordre établi. Des stades considérés comme des bombes à retardement. Combien de fois l’avons-nous dit et répété. Mais les dirigeants de notre secteur sportif n’ont jamais daigné entendre ce cri. Ils montrent des maquettes, des affiches et promettent de nouvelles infrastructures. En attendant, les drames s’enchaînent et le football algérien ressemble davantage aux combats des gladiateurs qu’à un sport collectif célébrant des valeurs de fraternité.
A-t-on oublié ce qui s’est passé le 15 avril 2012 à Saïda ? Le lynchage des joueurs du club algérois de l’USMA sur la pelouse du stade de Saïda, à l’ouest du pays, où des supporters chauffés à blanc avaient envahi le terrain pour agresser et tabasser les joueurs algérois, avait suscité une indignation nationale. Des joueurs grièvement blessés, transférés aux urgences des hôpitaux, avaient failli y laisser leur vie. La tragédie avait été évitée de justesse. C’était, déjà à l’époque, un sérieux avertissement. La violence dans nos stades avait dépassé le seuil du tolérable. Et pourtant, personne n’avait osé demander des comptes aux dirigeants du football algérien ou du ministère des Sports. Pourquoi autorise-t-on des matchs de football dans des stades dépourvus du moindre dispositif sécuritaire ? Pourquoi autorise-t-on des matchs dans des stades vieillissants qui compliquent incroyablement le travail des services de sécurité pour empêcher tout débordement ? Des services de sécurité si habiles à réprimer les manifestants en faveur de la démocratie et du changement, mais rarement impliqués et engagés lorsqu’il s’agit de faire face à des supporters enflammés. Preuve en est, ces derniers temps les policiers demandent tout bonnement à ce que les matchs soient programmés le jour et non pas le soir pour leur éviter de travailler la nuit et par peur d’affronter des jeunes émeutiers à la sortie des stades !
Ni des stades conformes et dignes de ce nom, ni des hauts responsables stratèges ou visionnaires, ni des supporters éduqués et suivis par des associations ou des clubs structurés et bien organisés, ni des services de sécurité consciencieux, l’Algérie s’est, finalement, elle-même jeté à corps perdu dans les bras de la violence et de la haine qui plombent notre football. La mort d’Ebossé n’est pas un symptôme, ni une conséquence d’un certain mode de gestion du football algérien. Elle est le reflet de ce que les autorités algériennes tentent de faire du sport roi dans notre pays : un défouloir national où toutes les violences trouvent leur expression. Le projectile lancé sur Ebossé a tué également nos dernières illusions, espoirs et rêves d’une Algérie qui aurait pu tirer les leçons de la magnifique prestation de notre équipe nationale au Brésil lors de la récente Coupe du Monde.
Le projectile qui a tué Ebossé a prouvé la complicité de nos dirigeants sportifs incapables de véhiculer à travers le sport des valeurs d’amitié, de fair-play et de fraternité. Des dirigeants qui cherchent à tout prix à politiser un sport populaire pour le mettre au service du régime. Des dirigeants qui découvrent soudainement que leur gestion catastrophique et populiste a provoqué, indirectement, la mort d’un joueur innocent qui croyait offrir un peu de bonheur à ces mêmes supporters qui lui ont ôté la vie.