Alors que de nombreux algériens assistent depuis leurs fauteuils confortables aux matchs de la trépidante Coupe du Monde au Brésil, chez-eux en Algérie, la liberté d’expression a été victime d’un monstrueux viol. Et cette fois-ci, ce n’est guère un rassemblement en faveur du changement politique qui a été réprimé. Ce ne sont pas des manifestants pacifiques qui ont été bastonnés. Non, cette fois-ci, c’est une attaque en règle contre tout un pan de la mémoire et l’identité algérienne.
A Alger, les autorités ont décidé qu’il n’est pas possible de rendre hommage à Matoub Lounè. Le chanteur rebelle qui a consacré toute sa vie à la lutte pour la cause berbère et les libertés publiques dans son propre pays, l’Algérie. Oui, Matoub Lounès, le Kabyle est avant tout un artiste algérien jusqu’au bout de ses ongles. Dans ses tripes, il avait ressenti les douleurs que lui procuraient la hogra et les multiples injustices dont étaient victimes ses compatriotes sur l’ensemble du territoire national. Il avait, certes, porté la Kabylie dans son cœur au nom de cette ancestrale culture et langue amazighe, mais il n’avait jamais snobé cette Algérie en quête de démocratie et de justice sociale. Au contraire, lui le blessé d’Octobre 88, il a ressenti dans sa chair la blessure qu’un régime autocratique peut causer à un homme.
Ses textes, ses chansons font la fierté de tous les Algériens. Pas la peine d’être un kabyle pour être ému par ses paroles forgées par la révolte. Pas besoin d’être un kabyle pour se sentir interpellé par ces valeurs d’émancipation, de respect de l’autre et d’honneur que véhiculent les chansons engagées de Matoub Lounès. Pas besoin d’être un kabyle pour se sentir concerné par cette fierté des origines ancestrales de notre nation qui est brillamment chantée par cet artiste rebelle. Un artiste rebelle qui n’a jamais fait preuve d’une quelconque hypocrisie. Il avait toujours dénoncé l’horreur et le totalitarisme qui condamnaient notre pays à vivre un cauchemar sans fin. Pour s’opposer au terrorisme islamiste, il ne s’était guère rangé du côté du régime liberticide qui a empêché le processus de démocratisation politique de l’Algérie. Aujourd’hui, au moment où nous devons commémorer le 16e anniversaire de l’assassinat de Matoub Lounès, un certain 25 juin 1998, la wilaya d’Alger a souillé la mémoire de toute notre société en interdisant la tenue des festivités de la journée d’hommage à ce grand artiste que devait abriter la salle Atlas à Bab El-Oued. Un des responsables de la wilaya d’Alger est allé jusqu’à demander aux organisateurs de cet événement de retourner à «Tizi-Ouzou» ! Des paroles qui frisent le racisme et le régionalisme. Des propos inacceptables de la part d’un commis de l’Etat.
Face à cette interdiction, peu de voix se sont élevées pour dénoncer une inqualifiable censure. Matoub Lounès dérange y compris 16 ans après sa mort. Le régime a, peut-être, le droit de ne pas l’aimer ou de refuser de le réhabiliter. Mais l’assassiner une 2e fois en empêchant que les Algériens redécouvrent son combat est une grave atteinte à sa mémoire et à celles de tous les martyrs qui ont donné leur vie pour que leurs concitoyens jouissent de la liberté dans leur Algérie chérie. Une liberté une nouvelle bafouée. Et malheureusement, cette violation est passée quasiment inaperçue. Une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et voila tout ! Matoub Lounès mérite beaucoup mieux que ce mépris. Ce deuxième assassinat n’honore ni notre pays ni ses dirigeants. Même une qualification au deuxième tour de la Coupe du Monde ne saurait légitimer une telle attitude liberticide.