Le Jeu dangereux de M .Bouchouareb

Redaction

Le ministre de l’Industrie, M.Abdesselem Bouchouareb, aura au moins, à l’occasion de son passage au gouvernement, une performance à son actif. Il a contribué à faire descendre dans la rue des milliers de manifestants qui, en début de semaine, ont défilé à Tizi ouzou au cri, notamment, de « libérez l’investissement ». Une première depuis l’indépendance. Autre exploit réalisé par M. Bouchouareb, la quasi unanimité qu’il réalise contre lui. Même Louisa Hanoune, qu’on ne peut pourtant pas suspecter  de sympathie à l’égard du patronat privé, s’est dite scandalisée à  la suite de l’utilisation des médias publics par M. Bouchouareb dans le but de stigmatiser et de « régler des comptes » avec le premier entrepreneur algérien en présence d’un ministre étranger .

 La « plus grande usine d’Algérie » en stand-by.

 Sur le fond de ce  dossier, la hauteur de vue et la conscience des enjeux qui manquent manifestement à M. Bouchouareb, on les trouvera dans l’intervention du  professeur à HEC Montréal Taïeb HafsiPour lui, « l’acquisition de Brandt fait partie d’une stratégie claire, dite de co-localisation, et qui est à l’avantage de l’Algérie. L’usine, qui est en construction à Sétif, est la plus grande d’Algérie et pour l’électroménager, l’une des plus grandes au monde. Elle devrait créer jusqu’à 7000 emplois. Les tambours usagés mais de qualité vérifiée que Cevital souhaitait utiliser étaient destinés à accélérer la mise en production des premières installations et gagner presqu’une année. Le coût de ces tambours (moins de 5 millions de dollars ) est insignifiant par comparaison à la valeur de l’usine qui est de plusieurs centaines de millions de dollars. Je crois sincèrement que si le ministre de l’Industrie visitait les installations de Cevital, il serait comme nous tous fier de ces réalisations ».

Les choses sont ainsi dites clairement. Ce qui choque dans cette affaire, c’est que  le blocage de l’investissement de Cevital ne  repose pas sur des contraintes objectives, comme, par exemple, l’absence d’assiette foncière qui freine actuellement beaucoup d’autres projets d’investissements nationaux. Dans le cas de l’usine de Setif, l’infrastructure existe et les équipements (neufs) sont déjà installés. Reste quelques équipements rénovés dont l’importation est bloquée délibérément alors que, comble de l’ironie, c’est Louisa Hanoune, elle-même, qui signale  encore au ministre de l’Industrie que l’importation d’équipements rénovés est une opération actuellement très courante en Algérie .

L’expansion de Cevital sous surveillance

 Taieb Hafsi , qui rappelle M Bouchouareb à ses devoirs, trouve aussi que « l’Algérie a suffisamment souffert de la déconstruction de son industrie. Le ministre de l’Industrie doit se rappeler constamment que dans la phase actuelle sa responsabilité est la construction de cette industrie et Cevital devrait être son principal allié ».

Ce n’est manifestement pas la stratégie développée par M .Bouchouareb et les relations entre Issad Rebrab et les autorités algériennes, qui étaient déjà tendues, semblent carrément s’envenimer depuis un peu plus d’une année. Chacune des initiatives prises par le Groupe Cevital est désormais suivie de très près par les services du ministre de l’Industrie  et la liste des obstacles dressés pour  empêcher  son expansion ne cesse de s’allonger.

Usine Michelin de Bachdjarah : tout est à l’arrêt .

Rien qu’au cours de l’année écoulée, on peut déjà citer le projet de rachat par Cevital de l’ancienne usine Michelin de Bachdjarah. La transaction avait déjà été conclue entre l’entreprise française et le groupe privé algérien lorsque le gouvernement algérien a décidé de mettre son véto en faisant valoir le droit de préemption de l’Etat. Le ministre des Finances, un peu gêné, avait expliqué que le gouvernement considérait que Cevital n’avait ….  pas payé  assez cher. Un peu plus tard , c’est le ministre de l’Industrie  qui rectifiait le tir en déclarant  que  le gouvernement tenait à maintenir une  production de pneumatiques à Bachdjarah. Aux dernières nouvelles, tout est à l’arrêt; la production de pneumatiques aussi bien que les projets de Cevital qui voulait  construire sur le site un hôpital , une université privée et un centre commercial. Une situation qui  ne semble pas gêner M. Bouchouareb .

Blocage de l’entrée dans le capital de NCA 

Voici à peine six mois, le patron de NCA Rouiba, Slim Othmani, annonçait qu’un accord avait été conclu entre le Fond d’investissement international Afric invest et Cevital pour la cession au groupe privé algérien de 15% du capital de  NCA par l’intermédiaire d’une transaction à la Bourse d’Alger. Moins de 48 heures plus tard, on apprenait que  la COSOB avait  exigé une main levée de l’État qui aurait, de son point de vue, un  droit de préemption sur ces actions. Depuis l’entrée en Bourse de NCA l’année dernière  on avait pourtant cru comprendre que le droit de préemption de l’ETAT algérien  ne s’applique pas aux transactions en bourse et qu’on ne peut pas, d’un point de vue pratique, le brandir à chaque opération de vente et d’achat d’un paquet d’actions à moins de paralyser complètement une institution qui n’a déjà pas besoin de ça. De là à conclure que la COSOB a agi sur injonction politique…

En attendant  Afric invest et Cevital devront attendre, sans doute longtemps, la main levée du ministère de l’Industrie pour finaliser la transaction. A moins que l’Etat décide qu’il est urgent  pour la collectivité nationale que le Trésor public entre à hauteur de 15% dans le capital d’une entreprise privée qui produit des jus de fruit….

Bouchouareb en première ligne

Au mois de décembre dernier, Issad rebrab était à Londres. Il accompagnait une large délégation composée à la fois de membres du gouvernement et de patrons algériens venus dans la capitale britannique vendre la destination Algérie aux investisseurs internationaux. Le patron de Cevital en avait  profité pour annoncer son intention de lancer un emprunt obligataire international. But de l’opération : accompagner le développement international de Cevital en finançant les acquisitions et les investissements du groupe algérien en Europe, notamment en Italie et en France. Jusqu’ici rien d’anormal. Le problème c’est qu’à peine Issad Rebrab avait t’il fait son annonce que le ministre de l’Industrie montait à la tribune pour déclarer devant un auditoire stupéfait que le patron de Cevital « se faisait des illusions, s’il espérait pouvoir utiliser ses actifs en Algérie au titre de garantie pour son emprunt international ». Il faudra sans doute remonter très loin dans les annales de ce genre de manifestation pour trouver un ministre de l’Industrie déclarant aux investisseurs internationaux qu’il ne doivent surtout pas faire confiance à la première entreprise privée de « son » pays .

Une stratégie en solo du ministre de l’industrie ?

Dans l’attente de nouveaux développements, il est encore difficile de déterminer si M . Bouchouareb entretient une querelle personnelle avec M. Rebrab ou bien si son action fait partie d’un objectif plus vaste, approuvé par une partie des cercles dirigeants algériens, d’endiguement de l’influence du patron de Cevital. C’est l’ancien président  du FCE , M. Reda Hamiani, qui nous confiait voici quelques mois qu’« Issad Rebrab est le seul chef d’entreprise algérien à avoir réussi à  échapper au contrôle du pouvoir algérien ». Une raison suffisante, apparemment,  pour que son cas inquiète de plus en plus  certains membres du gouvernement. Le fait que le patron de Cevital ait pris la tête, voici maintenant 18 mois, de la fronde  du patronat contre un quatrième mandat du président Boutéflika, en démissionnant du FCE, n’a, bien sûr, pas arrangé les choses. Dans tous les cas, l’état de fragilité actuelle des équilibres sociaux et économiques de notre pays devrait inciter tout le monde à se montrer très prudent. L’image ruineuse sur le climat des affaires dans notre pays que renvoie la polémique actuelle entre le patron de Cevital et le ministre de l’industrie n’a pas certainement pas besoin d’être aggravée par les troubles multiples que pourraient  provoquer un affrontement ouvert entre le gouvernement et une entreprise qui représente les 3/4 de nos approvisionnements en sucre, la moitié du marché de l’huile, qui est le premier investisseur privé du pays, le premier contribuable privé et également le principal employeur dans une région aussi sensible que  la Kabylie .

Hassan Haddouche