Le laisser-aller a pris le pouvoir  Par Aziz Benyahia

Redaction

 

Jusque vers les années 90, nous accusions le colonialisme puis le néocolonialisme puis l’impérialo-sionisme d’être la cause de nos échecs. C’était toujours la faute des autres. Aujourd’hui c’est au couple diabolique « islamophobie-wahhabisme » qu’on attribue notre régression ou notre lamentable immobilisme. Tout est vrai, tout est vraisemblable et tout est faux et tout est invraisemblable. Une chose est sûre. En démêlant le vrai du faux, avec suffisamment de lucidité, on arrive à la conclusion sans appel que nous sommes les seuls responsables d’une somme non négligeable de nos turpitudes.

Quelques questions: quel lien direct y aurait-il entre l’absence de civisme et la chute des cours du brut ? Est-ce la faute à l’Opep, si l’Algérie importe de Chine des manches à balais en bois? Est-ce la faute à Marine Le Pen, si nos plages sont des dépotoirs d’ordures ? Est-ce la faute à Sarkozy, si un jeune ne propose pas sa place assise à une personne âgée dans le bus ?

Pourquoi tout est sale : les murs des magasins, les autobus, les trottoirs ? Pourquoi tous ces fils qui pendouillent aux balcons ? Des immeubles autrefois somptueux sont dans un état de délabrement lamentable. Ils n’appartiennent pas à l’Etat. Leurs propriétaires s’en fichent. C’est à l’image du reste : un laisser-aller total et un accommodement avec la crasse et le désordre. C’est dur à voir, c’est dur à dire, c’est dur à écrire, mais c’est la vérité.

Nous étions propres avant l’indépendance. Pauvres mais propres. Après l’indépendance, nous sommes restés propres, mais nous avons considéré que nous étions devenus définitivement riches et que le seul effort qu’il nous fallait faire était de dépenser l’argent qui nous tombait du ciel. Alors la léthargie s’est installée et avec le temps, le délabrement s’est installé aussi. On a laissé tomber les cravates, les chemises blanches, les pantalons aux plis marqués et les chaussures cirées, en même temps que les dollars se déversaient sur nous. Nous avons cru que nous étions définitivement riches sans avoir besoin de travailler. Le fils du pauvre se comporte brusquement en enfant gâté. Il se met à vendre les bijoux de famille et en tire fierté.

Par exemple,  nous avons oublié que la propreté est un élément fondamental de notre culture, de notre histoire et de nos traditions. Les instituteurs, les imams et nos parents étaient toujours propres et nous enseignaient la propreté. Propres chez soi, propres sur soi. Propres à l’école, au bureau, dans la rue. On se faisait propre pour sortir se promener, pour aller au cinéma, pour aller à l’école. Les maîtres examinaient nos mains, nos coiffures et nos vêtements et renvoyaient à la maison ceux qui  n’étaient pas nets. Les petites filles étaient coquettes. La pauvreté sentait le savon de Marseille et les maisons sentaient le Grésyl. Nos parents sentaient bon. Nos chouyoukhs sentaient le jasmin et dans l’air flottaient l’eau de rose et l’eau de fleur d’oranger.

Tout cela a disparu. Les toilettes sentent mauvais, y compris dans les mosquées. Elles ont disparu du paysage urbain. Malheur aux femmes qui ont des besoins pressants en ville ; les hommes pouvant toujours avoir accès à la clé des toilettes contre un café commandé au comptoir. Car chez nous, les toilettes ferment à clé. Malheur aux femmes qui font des efforts pour rester honnêtement coquettes, laissant la nature reprendre ses droits. Obligées de se congestionner le visage et relâcher le corps dans un habit ample partout et serré au visage, elles n’ont d’autre choix que de prendre une couleur passe-muraille pour se frayer un chemin dans la foule et éviter d’être importunées.

Les silhouettes des hommes sont devenues indéfinissables et les mines sont franchement peu engageantes. Tout est négligé et approximatif. Rien n’est net ni agréable à regarder. Inutile de chercher dans la rue quelqu’un d’élégant et d’allure soignée. Ni dans l’administration, ni aux guichets, ni dans les bureaux de poste, ni aux impôts. Pas une seule silhouette présentable et avenante. L’aspect et le comportement n’inspirent aucune sérénité. Le stress est dans l’air.

Ne parlons pas des lieux publics, des poubelles qui dégorgent, des immeubles cernés par les ordures, des rues encombrées, des halls et des cours d’immeubles dépotoirs, des hôpitaux etc…Rien à voir avec nos traditions, avec notre histoire. Rien à voir avec notre religion.

Le musulman doit être en état de propreté permanente. C’est une obligation canonique. En réalité et pour être plus précis le terme exact « tahara », va bien au-delà de celui de « nadhafa ». Il s’agit d’une propreté plus stricte, plus globale. Le musulman est constamment en état de grandes ablutions. Il accomplit ses petites ablutions pour aller à la prière, mais dans tous les cas ses vêtements sont propres de toute souillure et sentent bon. Est-ce le cas aujourd’hui ? Non ! Et nous sommes très loin du compte.

Il n’y a pas de honte à se dire la vérité si elle peut aider à l’examen de conscience et si cela peut nous amener à nous interroger sur nos propres turpitudes et à admettre notre défaillance collective. Si nous nous laissons envahir par les ordures, les mouches et la saleté, c’est avant tout par nos propres déchets et par notre négligence coupable.

Ce n’est ni la faute de l’Opep, ni de l’Occident, ni de Daech. C’est de notre faute individuelle et collective, et la grande lessive avant d’être politique, doit d’abord être hygiénique et ce serait alors un grand pas vers un environnement plus propre à tous les sens du terme.

 

 

 

 

 

 

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