C’est une histoire vraie qui a eu pour théâtre Bab Ezzouar, à l’est d’Alger. Dans un quartier de cette banlieue algéroise, où de nombreux commerçants et opérateurs chinois sont installés, un ouvrier originaire de l’Empire du milieu est un jour brutalement pris à partie par un commerçant algérien : « Vous êtes comme des fourmis. Vous envahissez notre pays et le monde entier, semant ainsi la misère et le chômage ».
L’ouvrier chinois se tait, réfléchit, regarde son interlocuteur droit dans les yeux et lui assène : « Et vous les Algériens, vous êtes comme des crocodiles ! Vous avez une grande gueule et de petits bras. Vous insultez tout le monde, vous empêchez les autres de travailler sous prétexte qu’on vous vole vos emplois, mais en réalité vous ne faites jamais rien de votre journée ».
Cette dispute, au delà de son aspect anecdotique, comporte une véritable morale que chaque citoyen Algérien doit entendre et assimiler. Oui, notre frère chinois a bel et bien raison : nous sommes victimes du syndrome du crocodile. Nous avons une grande gueule, mais de petits bras. En quelques mots, ce Chinois a résumé parfaitement notre hypocrisie : nous sommes devenus un peuple de parlotte et de chicanerie. Nous gueulons, nous protestons, nous critiquons, nous vilipendons, mais nous ne faisons jamais mieux que celui ou celle qu’on dénigre. Combien de blagues avons-nous inventé contre nos voisins marocains, sub-sahariens ou les habitants de ces pays du Golfe sur lesquels nous avons déversé tous nos préjugés ? Combien de fois nous sommes nous placés au-dessus de toutes les nations arabes, en instrumentalisant notre passé glorieux ? Mais en réalité, que faisons-nous de notre présent ? De petits pays comme le Qatar et les Emirats Arabes-Unis font entrer avec fracas leurs populations dans la modernité. Les Marocains, qu’on aime accuser de « servilité » et de manque cruel de « Nif », exportent leurs produits agricoles dans toute l’Europe, notamment la France où le couscous made in Maroc ne laisse aucune place à la concurrence.
Pendant ce temps-là, nous, Algériens, importons de la mayonnaise, des artichauts et même du pain pour les panini pour lesquels nous faisons la queue à longueur de journée. Cet extraordinaire « exploit » est-il fait pour alimenter notre « Nif » national ? Ce Nif de crocodile qui nous empêche de se remettre en cause et de reconnaître cette vérité : nos petits bras, notre fainéantise légendaire et notre culture rentière menace tout simplement l’avenir de notre pays.
Preuve en est, l’Algérie enregistre un taux de productivité de moins de 0,2%, très en deçà de la norme, mondialement admise, de 4 à 5%. Pour être rentable, productif et participer au développement économique du pays, un travailleur doit « au moins bosser 173 heures par mois », explique l’expert économique Abdelmalek Serraï.
Cette norme, les Algériens ne la connaissent point. Ou plutôt, ne veulent pas la connaitre, car leur philosophie de la vie ne reconnaît ni la productivité ni la rentabilité et encore moins, l’efficacité. Leur philosophie de la vie ne laisse place qu’au repos, la triche et le moins d’efforts possible. Cette vision négative est ce qu’on appelle le « syndrome du crocodile », telle qu’elle a été magnifiquement décrite par cet ouvrier chinois. Ce dernier a tout compris de l’Algérie. Un pays peuplé de « grandes gueules » et de « petits bras ».
La brutale chute des prix du pétrole et la conjoncture économique critique va inéluctablement changer nos mœurs. Prochainement, les grandes gueules n’auront plus leurs bras courts pour affronter la vie. La paix sociale dont ils se sont tant enivrés ne sera que vague souvenir. Ce jour-là, cet ouvrier chinois pourra communiquer différemment avec son ami le commerçant algérien. Ce jour-là, nous, Algériens, devrons mettre de l’entrain dans nos cerveaux en proie à la « paresse ». Et un cerveau plein de paresse « est l’atelier du diable », dit un fameux proverbe italien. Qui peut dire le contraire ?