Les Etats désunis d’Algérie par Kamel Daoud

Redaction

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DaoudFinalement le peuple va devenir plusieurs. Un peuple en Kabylie, avec une histoire mais sans pétrole. Un peuple à Ghardaïa : avec un Dieu mais deux religions. Un peuple à l’ouest avec un Président mais qui a deux lieux de naissance. Un peuple à Alger : c’est l’endroit où on vote le moins mais où habitent le plus grand nombre d’élus. Un peuple au sud : avec du pétrole sous le pied et du sable dans la main et du vent dans la bouche. Un peuple Chaouï, avec beaucoup de militaires mais très peu de pouvoirs. Un peuple des hauts-plateaux, avec des moutons, des minoteries mais sans Larbi Belkheir et avec Belkhadem. On peut y ajouter d’autres peuples aux peuples. C’est désormais facile, faisable. Chacun sa solution : en Kabylie, certains veulent l’autonomie de la Kabylie. En réaction au Régime qui a réussi l’autonomie du régime face au peuple. Mais pour faire comme lui : exclure, trier, se laver les mains, enjamber et ne plus se sentir concerné.

Certains se souviennent peut-être de la fameuse lettre de Ronald Rumsfeld, le théoricien de la global-guerre américain quand il a visité brièvement l’Algérie : il avait adressé une lettre au « peuple d’Alger ». La formule avait étonné des millions et a poussé les amateurs à chercher le sens dans l’histoire algérienne Ottomane. Le ministre avait peut-être compris, plutôt que d’autres, la nature du pouvoir : un Dey entouré de janissaires soucieux. Une sorte de « fratrimoine » sous forme d’un pays décolonisé mais pas libre de droit. Donc « peuple d’Alger ». Il s’en suivra d’autres : peuple du sud, de la Kabylie, de l’ouest, de Ghardaïa et ainsi de suite. L’énorme effet centrifuge du règne Bouteflika qui réduisit le système à un régime et le régime à sa famille a eu, comme effet direct, un effet d’émiettement et des rétractions vers les « origines » de chacun : tribu, cage d’escalier, commerce, Oujda ou Annaba, confession ou démissions. Chacun s’agrippe à son ancêtre faute de pouvoir enfanter une terre pour tous. La cartographie des régionalismes, longtemps tenue à la lisère du non-dit, devient un atlas national assumé : on aura le Deylicat d’Alger, le Royaume restauré de Koukou, la Zaouïa maritime de Ténès, la corporation de Tlemcen avec la péninsule de Msirda comme nouvelle ENA, les Etats des Puits-Unis au Sud, l’amicale des meuniers et minoteries des hauts-plateaux et les peuplades Chaouis Fiers avec les Hordes ANSEJ comme menace barbare ou le Conglomérat des importateurs. La Kabylie sera reliée aux ancêtres, Alger au pétrole, Oran à Oujda, le sud à AQMI et le Sahara aux USA et ainsi de suite.

Dérives sur un Nil asséché. Tout cela pour dire que tout cela va s’accélérer. Il faut reconnaitre au règne du Roi Assis d’avoir réussi à mettre fin à l’unanimité autour de la nation pour le ramener à l’unanimisme autour de sa personne. Il a restauré une monarchie et, du coup, dix Royaumes se réveillent et réclament un territoire. Une nation meurt quand chacun rentre chez soi vers un chez soi qui n’existera plus pour chacun, un par un. Paradoxe du repli sur soi qui, en réclamant un pays pour chacun, tombe dans un trou pour tous.

Et donc ? Apres El-Mouwahiddoune et El Mourabitoune, on a El Mouradioune. Bref royaume assis et murmurant qui précède notre morcellement. Le « Peuple » est la seule entité qui, lorsqu’elle se dévore se multiplie et devient plusieurs peuples.

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