Les jeunes algériens seront- ils bientôt tous des entrepreneurs ? Par Hassan Haddouche

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Au total, près d’un emploi sur trois créé en Algérie, au cours des dernières années, est un « auto emploi » .Les jeunes algériens seraient-ils devenus, pour beaucoup d’entre eux, des entrepreneurs ? Et quel genre d’entrepreneurs ?

Au Salon national de la micro-entreprise qui se tenait la semaine dernière , le ministre du travail a salué la volonté des jeunes entrepreneurs qui s’investissent dans le monde des affaires, en créant leurs propres entreprises. Mohamed El Ghazi affiche son optimisme quant à l’avenir des micro-entreprises en Algérie. Pour preuve, il affirme que leur nombre atteindra 500.000 d’ici à la fin de l’année en cours .

 Les jeunes algériens sont sans doute en train de remettre en cause (partiellement) leur préférence et leur dépendance, traditionnelles, vis-à-vis du salariat en général et de l’embauche dans le secteur public en particulier . Il faut reconnaitre que depuis quelques années, l’Etat n’a pas lésiné sur les moyens, surtout financiers, pour favoriser la création d’entreprises par les jeunes porteurs de projets. Il est incontestable en particulier que les dispositifs en faveur de la micro entreprise rencontrent un succès important . La «démocratisation» de l’accès aux crédits d’une agence comme l’Ansej qui avait, il n’y a pas si longtemps, la réputation d’être réservé à une minorité de privilégiés , est l’aspect le plus frappant des évolutions des dernières années.

Entre 2010 et 2014, on est passé de 20 000 à 60 000 dossiers agréés pour l’Ansej. Rien que pour cette agence, ce sont déjà , depuis sa création en 1997, plus de 300 000 micro entreprises et environs 700 000 emplois qui ont été créés. Des chiffres récents confirment que les dispositifs destinés à développer l’emploi des jeunes sont toujours aussi attractifs. Près de 90 000 micro entreprises Ansej et Cnac créées en 2014 et autant attendues en 2015, selon le ministre du travail .

A l’origine de l’accélération des activités des 2 agences depuis 4 ans, leurs DG mentionnent les décisions prises en février 2011, qui ramènent l’apport personnel au niveau symbolique de 1 ou 2% du montant de l’investissement fixé désormais, au maximum, au seuil symbolique de 10 millions de dinars. Autres facteurs ayant contribué à l’engouement pour cette formule : la participation active des banques publiques ainsi que les facilitations dans l’accès aux locaux.

S’ils exercent une influence croissante, et bien visible, sur la société algérienne, l’impact économique réel de ces dispositifs, qui ont maintenant plus de 15 ans d’existence dans le cas de l’Ansej, reste cependant plus sujet à controverse et continuent de soulever des interrogations, voire de provoquer un certain scepticisme. Des questionnements ont déjà fait de façon sporadique leur apparition dans le débat national. Les responsables des deux dispositifs ont tenté de répondre à diverses objections formulées couramment au cours des dernières années.

 Les micro entreprises sont elles viables ?

 Les crédits alloués aboutissent-ils véritablement à la création d’une activité ? Les “déperditions”, voire les détournements de crédits souvent évoqués par la presse nationale, sont minimisées par les responsables des deux agences. Le DG de l’Ansej évoque la question essentielle de la viabilité économique des entreprises créées dans la cadre de l’ Agence en affirmant que leur taux de mortalité ne dépasse pas 2,5% des entreprises créées depuis 1997. Il assure que “les micro entreprises sont de bonnes clientes pour les banques”. Même son de cloche du côté de la Cnac dont un dirigeant indiquait récemment que le nombre de micro-entreprises qui n’arrivent pas à rembourser leurs crédits bancaires reste faible. « 1100 micro-entreprises sur les 74 000 créées par la Cnac, depuis le lancement du dispositif en 2005, ont présenté des difficultés à rembourser leurs crédits. Cela représente un pourcentage qui ne dépasse pas les 2% » affirmait-il voici quelques mois à la radio .

Des déclarations qui minimisent manifestement un phénomène de mortalité qui est révisé en hausse par des informations récentes . Les entreprises « en difficulté » représenteraient entre 8 et 10% des effectifs et celles qui ne remboursent pas les crédits dépasseraient 30% … En fait les trois quart des micro entreprises en activité ayant été créées depuis 2011 avec un pic en 2012, le gros des remboursements des crédits devrait intervenir à partir de 2015 et c’est donc seulement dans les prochains mois, voire les prochaines années, qu’on pourra mesurer effectivement la « viabilité » des micro entreprises et l’ampleur des phénomènes de déperditions des crédits .

 L’Ansej est-elle une “agence de transport”?

 A quel genre d’entrepreneurs les dispositifs pour l’emploi des jeunes donnent ils naissance ? Les médias nationaux évoquent régulièrement une préférence marquée pour le transport de voyageurs, voire dans la période la plus récente, pour les « agences de location de voiture ». Faux, répondent désormais en chœur les responsables des deux agences qui n’aiment pas beaucoup qu’on les assimilent à des « agences de transport » et indiquent que le transport de voyageurs, localisé particulièrement dans le sud du pays, représente désormais à peine 1% des projets approuvés au cours des dernières années. Même si le transport de marchandises a partiellement pris le relais et rencontre encore beaucoup d’adeptes, dans les bilans établis récemment, le plus gros des effectifs concerne surtout par ordre d’importance, les services, l’industrie , le BTP et l’agriculture.

 La fermeture des marchés publics est toujours de rigueur

 En dépit de ces orientations récentes, le passage d’une démarche de « traitement social du chômage » à la mise en place d’une stratégie de développement économique pose de plus en plus souvent la question, encore embryonnaire dans le débat économique national, de l’accompagnement des porteurs de projets grâce d’une part à la commande publique et d’autre part à la mise en place de pépinières et d’incubateurs d’entreprises dont le réseau reste chez nous très insuffisant. Un certain nombre d’ entrepreneurs Ansej et Cnac semblent fonder beaucoup d’espoirs sur les commandes de l’Etat pour développer leurs activités et ils le font savoir régulièrement dans les différentes manifestations organisées au cours des dernières années. Dimanche dernier, le ministre du Travail M. Ghazi a tenté d’apporter un élément de réponse à cette revendication en affirmant que l’Etat a accordé aux micro-entreprises, de 2012 jusqu’au 1er semestre de 2014, « plus de 2.600 marchés, soit une valeur totale de 8,7 milliards DA ». Un marché public pour 200 micro entreprises en activité, ça ne fait vraiment pas beaucoup. En fait, les bilans des dernières années dans ce domaine sont sans appel: Les marchés qui relèvent des administrations centrales sont inaccessibles pour les micro entreprises et les wilayas qui ont pu leur affecter des projets dans le cadre des dispositions réglementaires préférentielles relèvent de l’exception. Le dispositif introduit en 2012 pour lever les contraintes des gestionnaires du secteur public soucieux de passer commande aux micros entreprises issues du dispositif ANSEJ et CNAC, n’a encore eu qu’un impact marginal.

 Pépinières d’entreprises, un réseau encore squelettique

 La mise en place de pépinières et d’incubateurs d’entreprises est une autre piste d’accompagnement des micro entreprises , certainement beaucoup plus prometteuse, notamment pour les starts-ups innovantes. Mais notre pays a pris beaucoup de retard dans ce domaine. Leur réseau reste encore squelettique et les quelques incubateurs en activité ne prennent encore en charge au total que moins d’une centaine de micro entreprises par an. Il en faudrait beaucoup plus à la fois dans des parcs technologiques spécialisées et au sein des universités. Au fait où en sont chez nous les performances des incubateurs de Sidi Abdellah , de Oran ou de Batna et qui s’en préoccupe ?

Hassan Haddouche