Par Hassan Haddouche
Depuis quelques mois, c’est avec stupeur qu’on observe la vitesse de la dégradation de notre situation financière. La Banque d’Algérie vient d’annoncer une baisse de nos réserves de change de plus de 8 milliards de dollars en 9 mois ; rien qu’entre fin 2013 et septembre 2014 . Les plus mauvaises nouvelles sont encore à venir puisque c’est surtout au dernier trimestre 2014 que les prix du baril ont vraiment dégringolé. D’ailleurs, tout le monde s’y met. La Banque mondiale a publié voici quelques jours des prévisions qui font froid dans le dos en confirmant les scénarii les plus pessimistes. Pour l’institution basée à Washington, notre pays devrait limiter les dégâts en 2014 avec un déficit de ses paiements extérieurs un peu supérieur à 3% du PIB. Mais nous ne perdons rien pour attendre puisque le déficit devrait carrément exploser en 2015 et 2016 en dépassant allègrement le niveau astronomique de 9% du PIB pour atteindre des montants compris entre 20 et 25 milliards de dollars par an . A ce rythme là, chacun peut faire le calcul lui-même, il ne restera plus grand-chose de nos réserves de change dans 5 ou 6 ans .
Les réformes dans le rétroviseur
Après avoir tenté de rassurer depuis l’été dernier, le gouvernement algérien semble avoir fini par se rendre compte que la situation devient franchement préoccupante. On a organisé en toute hâte un conseil des ministres présidé par le Chef de l’Etat à la fin du mois de décembre afin de parler des conséquences de la chute des prix du pétrole et on évoque pour ces jours ci la probabilité d’un changement de Gouvernement .
C’est tant mieux pour la prise de conscience et la réaction des pouvoirs publics réclamées depuis des mois par tous les commentateurs. Mais c’est malheureusement sans compter avec la propension des décideurs économiques algériens à chercher des solutions en regardant dans le rétroviseur. Il semble en effet, si on en juge par les mesures qui sont déjà évoquées ici et là, que l’attelage Bouteflika- Ouyahia- Sellal prépare une riposte qu’on jurerait avoir été conçue au cœur des années 80.
Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une surprise. A l’occasion de la dernière crise en date, en 2008, le « choc externe » ( expression est de Mohamed .Laksaci ) subi, déjà, par la balance des paiements avait été suivie par une salve de mesures qui ont pratiquement bloqué le processus, pourtant très prudent et « graduel », de réforme de l’économie algérienne engagé au cours de la première partie des années 2000. Pour rappel très sommaire : la réforme bancaire et financière qui prévoyait notamment l’ouverture du capital de plusieurs banques et compagnies d’assurance publiques à des partenaires internationaux a été reportée sine die. L’ouverture à l’investissement étranger, qui avait commencé à donner des résultats sensibles, a été stoppée net par l’adoption du célèbre 51/49. Enfin, pour ne mentionner que les mesures les plus importantes, l’instauration du crédit documentaire a alourdi les procédures et les coûts d’importation sans réduire la facture qui a continué d’augmenter de près de 50% entre 2009 et 2014.
La faute aux importations de kiwi
C’est dans le même esprit qu’on nous annonce aujourd’hui que des « groupes de travail » ont été constitués. Ils se penchent sur une série de mesures qui viseraient à mieux contrôler les importations et les transferts de capitaux. On évoque même un possible rétablissement des autorisations administratives d’importation (AGI) en vigueur dans les années 70 et 80 . Dans le même temps, on nous explique, et c’est sans doute le fond de la pensée de nos dirigeants actuels, que « la crise est conjoncturelle » et que les prix pétroliers vont certainement se redresser dès le deuxième semestre de l’année en cours. Il faut ajouter à ces quelques éléments d’information disponibles pour l’instant, la campagne qui s’est développée dans les médias nationaux pour nous expliquer que les importations « superflues » de kiwis, de bananes, d’ananas et même, nous dit-on, comble de scandale, de couscous, d’oranges, de raisins et de dattes, sont responsables du dérapage de nos importations. On a juste oublié de prendre sa calculatrice. On se serait aperçu qu’en additionnant la centaine de produits réputés « superflus » mentionnés par les médias (et même en y ajoutant le chocolat auquel je veux bien renoncer pour sauver les finances du pays) on n’arrive pas à 1% de notre facture d’importation.
Apparemment le réflexe est inscrit dans l’ADN de nos dirigeants. A chaque crise économique, ils pensent pouvoir sauver le système en attendant le retournement du marché pétrolier et en sacrifiant les importations de fruits exotiques. La logique ultime de cette démarche ? Surtout ne pas parler des énormes chantiers de réformes et des bombes à retardement que constituent la masse salariale de la fonction publique qui dépassent déjà largement les recettes ordinaires du budget de l’Etat ou encore les subventions tout azimuts qui représentent plus d’un tiers du PIB et qui ont déjà vidé une grande partie de notre système de prix de toute signification économique .