Les ministres économiques algériens sont ils frappés de mutisme ? Si on excepte M. Bouchouareb et Bakhti Belaib, qui souffrent plutôt de l’affection inverse et qui gagneraient à accorder leurs violons, on peut quand même sérieusement commencer à se poser la question.
Le Conseil des ministres vient d’adopter une loi de Finances qui prévoit une baisse très sensible des dépenses de l’Etat, la création de nouveaux impôts et de nombreuses augmentations de taxes. Il a défini simultanément un plan sur 3 ans qui vise à éliminer l’énorme déficit des finances publiques mais qui suppose aussi des coupes budgétaires et de nombreuses augmentations de taxes au cours des prochaines années. Où sont ces explications qui permettent d’accompagner cette stratégie financière sévère laquelle engage l’avenir économique du pays pour les prochaines années ? Les autorités économiques algériennes semblent se contenter d’un communiqué officiel qui explique en substance que « L’Etat n’abandonnera pas son rôle social ». Cela risque d’être un peu court dans les mois qui viennent.
Quelques partis d’opposition ont déjà donné le ton au cours des derniers jours. Le FFS a qualifié le projet de loi de finance 2017 de texte « antinational et antisocial ». Le RCD par la bouche de son Président Mohcéne Belabbés, qui nous a habitué à mieux, explique que « l’austérité organisée autours des investissements structurants dans les lois de finance 2016 et 2017 ne peut que faire le lit d’une révolte aux conséquences incalculables « . Louiza Hanoune n’a, bien sûr , pas voulu être en reste. Elle dénonçait voici quelques jours, avec sa modération habituelle, « les agressions brutales contre les travailleurs , la jeunesse et les larges couches populaires dans le cadre d’une politique d’austérité meurtrière ». Ce n’est encore qu’un début très prometteur.
Un déficit peut en cacher un autre
Le déficit de communication est tellement criant que c’est le président Boutéflika lui-même qui l’a relevé voici une semaine. Le communiqué du dernier Conseil des ministres nous apprend ainsi que le Président de la République a insisté sur l’importance de « l’information régulière des citoyens sur les difficultés et les enjeux, ainsi que sur la démarche économique mise en oeuvre, afin de rallier leur adhésion en cette période cruciale que traverse le pays ».
Le Chef de l’Etat n’est, d’ailleurs, pas seul à constater au cours des derniers jours la défaillance des autorités algérienne dans ce domaine. Dans son dernier rapport rendu public jeudi dernier, c’est la Banque Mondiale cette fois qui estime qu’en Algérie « la volonté politique et le consensus national pour rationaliser les subventions inefficaces, inéquitables et coûteuses est en train d’émerger, mais une telle réforme exige des filets de sécurité améliorés, un système de transfert sociaux atteignant les nécessiteux et une campagne médiatique solide pour faire face aux oppositions durant sa mise en place ». La Banque Mondiale n’est d’ailleurs pas très optimiste puisqu’elle ajoute qu’ « aucune de ces mesures d’accompagnement n’est mise en place ou attendue à court terme ».
Mais où est donc passé l’emprunt obligataire ?
Le problème c’est aussi que lorsqu’elles se décident quand même à communiquer, les autorités algériennes le font plutôt mal. On pourrait multiplier les exemples. Prenons le cas de « l’emprunt obligataire ». Il s’agit quand même du plus grand emprunt d’Etat de l’histoire de l’Algérie indépendante. On aimerait avoir quelques informations sur ses résultats et sur la destination des fonds collectés. Dans une de ses (très) rares interventions publiques depuis sa nomination, le nouveau ministre des finances, M. Baba Ammi, a promis de « faire le point au mois d’octobre ». Malheureusement, ses services ont déjà livré leur propre interprétation en expliquant en toute candeur à la presse nationale que « l’emprunt obligataire a financé 18% du déficit de l’Etat au premier semestre 2016 »(sic), les fonctionnaires du ministère des finances aurait pu dire tout aussi bien que « l’argent des épargnants qui ont fait confiance à L’Etat est tombé dans un trou sans fond ». L’effet aurait été le même. On attend avec intérêt le bilan et les explications du ministre sur un terrain qui a déjà été miné par ses collaborateurs.
L’énorme saignée du prix des carburants
Un dernier exemple. Nous trouvons que les experts de la Banque Mondiale sont bien optimistes en estimant que « la volonté politique et le consensus national pour rationaliser les subventions inefficaces, inéquitables et coûteuses est en train d’émerger » en Algérie .Par quel miracle est –on parvenu à un tel résultat ? Les plaidoyers de quelques rares Think tank, les explications de quelques experts, les articles de quelques journalistes ont-ils suffi à faire émerger un « consensus national » et « une volonté politique » sur ce sujet ultra -sensible ? Rien n’est moins sûr .
En tous cas si le problème de la rationalisation des subventions a commencé à être posé en Algérie ce n’est certainement pas grâce à la qualité de la communication de l’exécutif. Le gouvernement s’est bien décidé l’année dernière à commencer, après 15 ans de gel, à augmenter, de façon très modeste et très prudente les prix des carburants et de l’électricité. Mais où sont les explications et la recherche du consensus ?
A-t-on entendu un seul ministre ou un seul haut fonctionnaire expliquer aux algériens que plus de la moitié du pétrole extrait de notre sous-sol partait désormais en fumée dans les pots d’échappement nationaux et qu’à ce rythme notre pays ne disposerait plus d’aucun surplus exportable dans moins de 10 ans ? Qui se charge d’expliquer que les subventions énergétiques coûtent près de 15 milliards de dollars par an à notre pays et les carburants à eux seuls près de 7 milliards de dollars ? Qui a tenté de recenser l’incroyable cortège de nuisances de toutes sortes et les coûts économiques, sociaux et sanitaires cachés ou méconnus engendrés par « l’essence la moins chère du monde » ?
Tout se passe comme si les autorités algériennes étaient tétanisées par les résultats de la politique appliquée dans ce domaine depuis 15 ans et qu’elles préféraient tenter d’en corriger les effets dans la plus grande discrétion et de façon un peu honteuse. Mais comment dans ces conditions assurer « l’information régulière des citoyens sur les difficultés et les enjeux, ainsi que sur la démarche économique mise en oeuvre, afin de rallier leur adhésion en cette période cruciale que traverse le pays » comme le réclame le Président Bouteflika lui-même ?
Hassan Haddouche