La lettre d’une poule au ministre du Commerce

Redaction

Une poule nous a fait parvenir cette lettre

 

Monsieur le Minisitre du Commerce,

 

Qu’une poule vous écrive – une vraie, sauf votre respect – cela peut paraître surprenant, mais c’est un exercice auquel je ne pouvais me soustraire, compte-tenu d’un premier antécédent puisque le bruit s’est vite répandu dans les poulaillers faisant état d’une correspondance adressée par une sardine au ministre de la pêche et qui a été rendue publique par Algérie Focus. Alors j’ai été désignée à l’unanimité au cours de notre assemblée générale bimensuelle pour vous écrire moi aussi. Pour vos lecteurs, je tiens à préciser que nos assemblées ont lieu tous les quinze jours, parce qu’on ne vit pas plus de 4 semaines dans le meilleur des cas ; loisirs compris.

 

Avant de vous livrer mes sentiments, monsieur le Ministre, je voudrais vous poser une petite colle. Savez-vous quelle différence il y a entre un logement AADL et un poulet ? Réponse : aucune parce que dans les deux cas, il vous reste à finir 50% du travail. Pourquoi je dis cela ?

 

Parce que j’ai eu la chance hier d’être proposée vivante au marché et si j’ai survécu c’est parce qu’on me trouvait trop chère. Et j’ai donc observé que mes congénères qui n’avaient pas eu ma chance, étaient vendues au poids à moitié habillées. Le volailler nous vend avec le chapeau, les chaussures et le repas de la veille, particulièrement salé pour nous faire boire abondamment et peser de tout notre poids dans la balance. Ils ne sont pas bêtes vos frères volaillers.

 

Revenons à l’objet de ma correspondance.

 

J’ai donc observé hier au marché beaucoup d’angoisse dans le regard des clients, une morosité générale et des propos peu avenants à l’encontre des politiques. Permettez-moi de les garder pour moi, car il n’est pas dans nos habitudes de balancer. Bien au contraire ! On balance aux poulets et non l’inverse, vous le savez bien.

 

Et entre nous, ils ont raison d’être furieux. Des bananes à 950 DA le kg cela équivaut à 2 boîtes de Doliprane. Comprenons-nous. Il ne s’agit pas d’augmenter le prix du Doliprane mais de baisser celui des bananes. Ou alors de cesser d’importer des bananes car on me dit qu’on peut vivre sans. Comme j’ai passé ma journée chez le marchand de volailles en face du boucher, j’ai entendu des commentaires extravagants sur le prix de la viande : le filet de bœuf à 4000 DA le kg, le foie à 3500 DA, le mouton 1800 DA. De plus, chacun y allait de son commentaire sur les pommes à 600 DA, les oranges à 300 DA etc… etc …

 

Certes je suis une poule, je ne connais rien à tout cela mais je ne suis pas bête car, au cours de notre brève existence, nous apprenons beaucoup de choses. En accéléré certes, parce tout est plié au bout de quatre semaines de gavage intensif, mais tout de même ! Du filet de bœuf à 4000 DA le kg ! Cela signifie que le travailleur algérien payé au SMIC gagne au bout d’un mois de travail l’équivalent de :

4,5 kgs de filet de bœuf, ou

5    kgs de foie, ou

18  kgs de bananes, ou

30  kgs de pommes

ou alors un aller simple pour Marseille ?

 

Moi qui suis vendue à moitié habillée 300 DA le kg, je trouve tout cela comique. Cela m’est égal parce que je vais rapidement disparaître, mais j’avoue que quelque part, je ne suis pas trop mécontente de savoir que ma cuisse et ma poitrine, proposées séparèment, vont jusqu’à 800 DA le kg, et je me dis que tant qu’à faire, autant vendre cher sa peau et que pour une poule –pas d’amalgame s’il vous plait – valoriser sa cuisse et sa poitrine c’est toujours flatteur, non ?

 

Voyez-vous, monsieur Le Ministre, ce qui me fait de la peine en définitive, c’est que vos citoyens sont toujours considérés comme quantités négligeables et qu’au lieu de se consacrer à leur travail dans la sérénité, ils passent leur temps à faire de l’équilibrisme pour savoir comment survivre dans un pays pourtant si riche. Vous pouvez toujours me rétorquer que ce n’est pas mon affaire, je vous répondrais que je ne fais qu’appeler votre attention en tant que simple témoin et qu’il nous arrive souvent dans notre vie si brève, nous les poules et les poulets, de nous demander si notre cervelle, au fond, n’est pas quelquefois de meilleure qualité que celle de certains de vos coreligionnaires incapables d’exploiter tant de trésors sous vos pieds, préférant vendre du pétrole pour acheter des bananes de Colombie, des manches à balais de Chine et des oranges d’Afrique du Sud. J’ai appris qu’on appelait ça la « H’chouma ». Mais il est vrai que cela demande du travail, beaucoup de travail. Et ça, c’est une autre affaire.

 

Aziz Benyahia

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