Lorsque « les masques à la longue collent à la peau. L’hypocrisie finit par être de bonne foi », disaient Edmond et Jules de Goncourt. Si les frères Goncourt avaient connu l’Algérie de 2014, ils auraient conclu facilement que leur célèbre citation pourrait être inscrite sur tous les frontons publics.
L’hypocrisie a tellement façonné l’esprit de nos compatriotes qu’elle obscurcit aujourd’hui toute leur lucidité. Preuve en est, des années durant, la croyance dominante dans notre pays nous faisait croire que pour protéger la dignité et l’honneur d’une femme, il faut lui faire porter le voile. Durant des années, des générations entières d’Algériens ont gobé ce discours moralisateur qui loue la protection morale dont jouit la femme voilée en Algérie dans l’espace public. Nous avons longtemps entendu dire que le hijab épargne à la femme le déclenchement libidinal des bas instincts de l’homme. Il n’en est rien. C’est un mensonge car dans notre société ni le conservatisme, ni la religiosité exacerbée n’ont stoppé les frustrations sexuelles collectives.
Dans nos rues, une femme qu’elle soit voilée ou pas, elle est traitée de la même manière par nos jeunes et hommes assoiffés de désirs sexuels. Elle est traitée comme un simple objet de désir qu’il faut prendre, voler, assaillir pour l’engloutir dans cette spirale d’envies irrésistibles et d’éternels besoins insatisfaits. Une Algérienne a démontré cette réalité amère. Elle a porté un long et strict hijab pour se promener quelques minutes toute seule à Alger tout en se filmant pour partager cette expérience sur Internet. Le résultat est édifiant : insultes, agressions verbales, harcèlement sexuel, des gestes déplacés qui frisent les attouchements, des hommes qui traquent leur proie au bout de tout un chemin, etc. Au final, le destin d’une femme voilée en Algérie est exactement le même que celui d’une femme tout court : harcèlement régulier et sentiment d’angoisse permanent.
Une femme est coupable d’être une femme. Dans la rue, elle cristallise toujours ses frustrations sexuelles que tout le monde fait semblant ignorer, mais qui torturent quotidiennement nos jeunes. Le manque d’espaces d’évasion et le poids du carcan religieux passéiste et rigoriste empêche toute une jeunesse de vivre comme elle l’entend. D’autres raisons aussi bien économiques que sociales peuvent être avancées pour expliquer cette obsession du désir sexuel dans le comportement de nos compatriotes. Quoi qu’il en soit, le résultat est là, palpable et plus que jamais étouffant : la frustration sexuelle suscite une tension sociale et celle-ci engendre de la violence. Difficile, dans ce contexte, de défendre un modèle d’éducation, des valeurs et une éthique exemplaire tant le besoin de vivre librement est constamment réprimé par une société inégalitaire et repliée sur elle-même. Face à cette situation, ce n’est pas le hijab qui nous apportera le salut. Les préceptes religieux ne suffisent jamais pour réguler une société frustrée. Ils ne font qu’entretenir des apparences trompeuses. Une société a besoin de bonheur, d’ouverture, d’un climat politique qui favorise l’épanouissement. Mais ce discours, les patriarches du système ne le comprennent pas. Ils ne le comprendront même jamais…