Monsieur Rebrab, expliquez-moi ! Par Sid Lakhdar Boumédiene

Redaction

Lorsqu’un seul homme s’est enrichi de l’équivalent d’un siècle de subsistance d’une population entière, l’humaniste est toujours choqué. Lorsque cette fortune a été réalisée avec un régime politique responsable des larmes et de la misère de cette même population, le démocrate est outré. Et lorsque cette extorsion est présentée par son auteur comme l’avenir et la chance du peuple qui en reçoit les miettes, le citoyen est tout simplement pris d’une nausée profonde.

Monsieur Rebrab, laissons immédiatement de côté l’argument qui m’est toujours opposé lorsque je prononce votre nom. La jalousie, c’est un sentiment que nous avons suite à un dépit amoureux ou envers une personne qui possède ce que nous désirons. Pour la première raison, le terme n’est certainement pas approprié vu le dégoût qui est le mien envers les personnages enrichis par les dictatures sanglantes et corrompues. Pour la seconde, notre vie entière a consisté à rêver une possession dont vous n’imaginez même pas l’existence, soit le savoir et la respectabilité intellectuelle.

Il y a quelques mois, j’avais répondu à l’appel de votre avocat suite aux déboires que vous aviez eu avec le régime népotique qui vous avait pourtant grassement enrichi. Celui-ci nous disait « A qui le tour ? » puisque vous nous mettiez en garde contre le totalitarisme liberticide après la péripétie El Khabar. Je vous avais répondu dans un article au titre suivant « A qui le tour ? A vous, monsieur Rebrab ! », signifiant que ce sera, un jour ou l’autre, à vous de vous expliquer devant le peuple algérien. Un jour ou l’autre…

 

Je suis toujours étonné lorsque les milliardaires se plaignent d’une dictature militaire qui leur a permis de forger leur immense fortune. Il existe des milliers de cas dans l’histoire qui ont connu la foudre des revers du diable lorsqu’ils ont pris le risque de s’asseoir à sa table. Et d’ailleurs, ce même diable n’a pas semblé susciter en vous plus de réactions que cela lorsque vous avez serré la main de Saïd Bouteflika et qu’on ne vous a plus tellement entendu depuis sur ce sujet. Les flammes de l’enfer n’ont pas d’odeur, autant que l’argent, vous l’avez bien compris.

 

Ma première question, monsieur Rebrab, sera double :  Pourquoi ne vous êtes-vous pas rendu compte du régime autoritaire et liberticide lorsque vous étiez occupé à amasser des milliards avec sa bénédiction ? Et pourquoi ne sacrifiez-vous pas votre fortune intégralement pour le combattre ?

 

 

Je ne vous connais pas, juste le temps de me retourner dans un exil lointain et voilà que j’apprends la fortune colossale d’un citoyen algérien. Ce sont des activités légales me dit-on, l’homme est entreprenant et perspicace, sa fortune a été faite dans les règles de l’art dont il a magnifiquement joué. Tout est légal, circulez, il n’y a rien à voir, le méchant est la dictature militaire.

 

Le montant supposé en milliards possédés me pose un gros souci de compréhension et je vous demande votre aide pour y parvenir. Je n’ai peut-être pas les compétences d’un entrepreneur milliardaire mais j’ai tout de même une capacité de raisonnement intacte et, surtout, libre.

Comment un homme isolé dans un pays de loups financiers, de par sa seule intelligence, a pu en arriver à ce point ? Moi, je suis assez naïf et incompétent mais il m’avait semblé que pour la moindre affaire, le moindre milliard, le contrôle par la puissance militaire et les corrompus civils était des plus féroces. A une époque où l’Algérie ouvrait ses marchés à la libre concurrence et ne se risquait pas aux aventures économiques solitaires, le résultat est assez étonnant.

 

Une grande majorité des milliardaires qui parviennent à la liste FORBES s’empressent de nous raconter leur itinéraire et leurs premières aventures dans les affaires. Qui va de son logiciel MS-Dos bricolé et refusé dans un premier temps par les grands groupes informatiques qui ne croyaient pas dans l’ordinateur personnel. Qui s’affaire dans un garage avec des copains pour bricoler le premier ordinateur Mac et ainsi de suite.

 

Chacun y va de sa légende, nous serions intéressés de connaître la vôtre. Nous attendons avec impatience vos mémoires instructives. Intervenir dans des conférences de Business Schools à travers le monde, n’est-ce pas votre place pour nous éclairer ? Tous les étudiants et experts ont soif de savoir quelle est cette aventure fabuleuse qui mène du métier de comptable, dans un pays verrouillé par la législation financière, jusqu’à celui de milliardaire.

 

Ceux qui étudient les sciences du management et de la finance ont hâte de connaître l’extraordinaire épopée au pays des généraux. Les experts des réseaux sociaux du monde entier, sociologues et économistes, souhaitent comprendre le génial dispositif que vous avez mis en place. C’est effectivement remarquable dans un pays où le plus commun des citoyens doit déployer un trésor d’ingéniosités et mobiliser des dizaines d’intervenants pour obtenir un simple document administratif.

 

La seconde question que je souhaite donc vous poser est tout simplement : Expliquez-nous, monsieur Rebrab, avec détail et passion, l’histoire de vos premières grosses transactions et de la constitution de vos réseaux ? Honnêtes et républicains, bien entendu.

 

 

Dans la même intention de comprendre, j’avais lu et relu le code algérien des marchés publics et celui de l’investissement, sans réponses à mes questions, sans doute par ignorance. Je n’arrive pas à percevoir par quel mécanisme juridique on peut posséder une telle fortune vu les textes et, surtout, se permettre des investissements de cette ampleur à l’étranger.

 

Vous avez déjà été épinglé par l’affaire Panama Papers pour des fonds transférés en comptes offshore. Or, à cette époque, vous n’en aviez aucun droit me semble-t-il si je consulte la législation algérienne. C’est dire combien j’ai de gros doutes sur la régularité de la provenance de ces fonds. Si on a le courage de transférer illégalement de telles fortunes, l’esprit normal fait immédiatement le lien avec l’origine tout autant illégale. Mais restons sur mon sentiment précédent, peut-être avez-vous des raisons légitimes, j’attends vos explications.

 

Où se situent les sièges sociaux de vos affaires, quelle est votre résidence personnelle officielle, dans quels pays sont vos comptes bancaires ? J’ai beau me gratter la tête et réfléchir, je ne comprends pas cette extraordinaire montage financier qui vous permet d’investir dans le monde. Les parties principales du Code des marchés publics et celui de l’investissement ainsi que les textes donnant monopole du change de devises à la Banque centrale, tout ou presque tout interdit votre empire, sauf conditions draconiennes qui nous échappent. Nos petites études financières, nos petites intelligences et nos petits esprits mesquins n’ont certainement pas compris les dispositifs qui sont les vôtres.

 

Par conséquent, ma troisième question : Quel est le montage financier de vos structures, l’origine des fonds de votre empire et les dispositifs légaux qui le permettent ?

 

Monsieur Rebrab, jamais je n’avais été autant insulté que lors de la publication de ma lettre à votre adresse. En première ligne ont été des berbérophones qui me conseillaient d’aller chercher des poux sur la tête des autres milliardaires corrompus et de laisser tranquille l’un des leurs qui aurait apporté bienfait, richesse et emplois au pays.

 

Si je dis cela, c’est que vous avez utilisé l’argument de la victimisation régionale. Laissez-moi vous dire que sur cette question, il va falloir me convaincre avec des arguments autrement plus puissants que ceux utilisés par les personnes qui m’insultent, courageusement couverts par l’anonymat d’un pseudo.

 

Lorsque cet avion nous avait ramenés vers Alger, en compagnie d’Ait-Ahmed, je n’aurais jamais cru que j’en arriverai à constater un tel aveuglement de mes compatriotes. Non berbérophone, j’ai milité toute ma vie pour la liberté et l’épanouissement de cette magnifique région qui est la MIENNE puisque je suis né dans cette terre algérienne. La Kabylie, vous l’avez trahie, autant que les autres et cela ne donne certainement pas le droit à ceux qui se sont enrichis sur son dos à me donner des leçons.

 

Les insultes qui vont suivre cet article couleront sur moi comme la pluie sur les plumes d’un canard. Il en a toujours été ainsi avant mon engagement puis au sein de l’exécutif national de ce parti en question. Il en sera toujours ainsi car mon attachement est profond quant à la reconnaissance de toutes les libertés culturelles et linguistiques comme à celles de tous les droits humains.

 

Lorsque nous parcourions la Kabylie, je n’ai pas eu souvenir de vous y voir. En revanche, j’ai rencontré des milliers de gens extraordinaires, souriants alors que beaucoup étaient dans une misère noire. J’ai vu des mamans rayonnantes, des enfants beaux comme la venue d’un jour et des militants sincères. Pendant ce temps-là, vous étiez occupé à faire des affaires avec le pire des régimes corrompus, celui-là justement qui a enflammé cette région de ses doutes et de ses réticences bien légitimes.

 

Votre argent, monsieur Rebrab, c’est celui d’une population algérienne meurtrie, celui des retraités miséreux, des malades sans accès aux soins performants, des femmes isolées avec enfant qui trouvent à peine de quoi survivre et des écoliers dans un système éducatif délabré, dans ses murs comme dans ses messages dramatiques de l’inculture et de l’obscurantisme.

 

Cet argent que vous croyez réinvestir avec générosité, c’est le leur. Pour ma part, je vous regarderai toujours droit dans les yeux avec un mépris profond. Et si les dollars amassés pouvaient se confier à nous, nous entendrions la complainte des torturés, le cri de révolte des berbérophones, des femmes et de tous les démocrates de ce pays.

 

 

Ma dernière question, monsieur Rebrab : Selon vous, qui, de vous ou de moi, citoyen inconnu, peut regarder l’Algérie (et donc également la Kabylie), en face des yeux et ne pas rougir de sa honte condamnable ?

 

Aujourd’hui, vous êtes embarqué dans le tourbillon mégalomaniaque de ceux qui ont acquis une fortune considérable, rapidement et sans discernement intellectuel. Vous voulez relier les Africains de l’Est à l’Ouest, vous envisagez des projets pharaoniques en Amazonie, demain peut-être le pont pour parvenir sur la Lune ou la construction de RebrabLand. Vous êtes entré dans le délire de ceux dont l’immense fortune ne suffit jamais car ils souhaitent toujours, au final, la reconnaissance et la dévotion des leurs. En ce qui me concerne, monsieur Rebrab, vous n’y parviendrez pas.

 

Vous pouvez acheter tous les journaux d’Algérie en vous prenant pour Citizen Kane ou vous présenter à la présidence de la République, il n’y a qu’une chose qui soit interdit à votre argent, l’achat d’une conscience !

 

 

SID LAKHDAR Boumédiene

 

Enseignant