Il y a, dans la façon dont on rend compte en ce moment dans les médias nationaux du « plan d’urgence » rendu public, mardi dernier, par le collectif Nabni, un risque de banalisation des propositions du think tank algérien qui serait une grossière erreur de perspective.
Tirer la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce que font depuis quelques années déjà beaucoup de spécialistes de l’économie algérienne. Dans le cas précis de ce qu’on appelait, voici encore quelques temps, les « jeunes universitaires » du think tank Nabni, il s’agit de beaucoup plus que ça. Déjà, au début de l’année 2013, le rapport baptisé « Algérie 2020 » produit après deux années de travail et de consultations tous azimuts des compétences nationales n’avait pas coûté un centime au contribuable algérien. C’était pourtant le bilan économique le plus complet et surtout le programme de réformes le plus détaillé, le plus rigoureux et le mieux formalisé que notre pays ait produit, toutes institutions confondues (y compris les plus budgétivores) depuis au moins 25 ans. Ces derniers jours, le collectif Nabni revient à la charge avec cette fois un plan d’urgence pour la période 2016- 2018.
Nabni : « Yes, we can »
Ce qui fait aujourd’hui dans le paysage algérien la singularité du groupe Nabni, c’est d’abord son indépendance, son autonomie complète vis à vis des institutions publiques, son absence d’allégeance connue à l’égard d’un courant politique ou d’une organisation patronale ou autres. Mais plus encore, c’est sa capacité remarquable et inédite dans le contexte national à agréger des compétences, à réunir des experts, des universitaires, des chefs d’entreprises, voire des fonctionnaires, autours du projet commun qui consiste à tenter de dessiner les contours d’une stratégie économique de sortie de rente.
Combien de fois n’a t’on pas reproché, au cours des dernières années, aux autorités économiques algériennes de manquer d’un projet, d’une « vision stratégique capable à la fois d’éclairer son avenir et d’orienter son action au quotidien » ? Et pour cause, les institutions publiques, théoriquement chargées de cette tâche, ont soit disparues comme nos anciens ministères de la planification, soit continuent de ronronner tranquillement entre amis comme notre CNES national. Les quelques initiatives récentes pour organiser des « Conférences nationales » sectorielles sur ce thème ont régulièrement accouché d’une souris.
Et bien figurez-vous que ce travail, ce sont les bénévoles du collectif Nabni qui sont en train de le faire en ayant décidé de se retrousser les manches au cours des cinq dernières années. On a pu mesurer les résultats. D’abord en janvier 2013, avec leur rapport « Algérie 2020 », et puis la semaine dernière, juste avant le Ramada ,avec cette fois un « Plan d’urgence » pour la période 2016-2018. En raccourci et en plus ramassé que le précédent, ce dernier document étonne et détone de nouveau, dans la production courante, par la pertinence de son diagnostic de la situation de l’économie algérienne, mais aussi et surtout par la qualité et le degré de détail des propositions de réformes qu’il comporte.
Pourquoi un « plan d’urgence » ?
Le groupe de réflexion algérien presse les autorités algériennes d’entamer le changement tout de suite. Il propose un mode opératoire, un plan d’urgence sur trois ans, avec des mesures concrètes regroupées en 12 chantiers. Pourquoi un plan d’urgence ? Parce que depuis 2013 la situation financière du pays s’est encore dégradée sensiblement. Au rythme actuel des dépenses publiques, « le fond de Régulation des recettes budgétaires risque d’être épuisé en 2017 ». Quand aux réserves de change, elles pourraient être proche de zéro dans « moins de cinq ans ».
Le Plan d’urgence de Nabni est aussi un projet simplifié et aux ambitions révisées à la baisse par rapport à la démarche proposée en 2013, pour tenir compte de la faible capacité d’ingénierie de l’administration actuelle. Il est « inutile de concevoir des méga-plans d’actions. La capacité de mise en œuvre des réformes est faible », souligne le document de Nabni.
Une réponse à la crise encore faible et inadaptée
Dans le contexte présent, l’un des mérites essentiels du dernier travail réalisé par les experts de Nabni va être de souligner d’abord la faiblesse de la réponse des autorités algériennes face à la crise du modèle de gestion actuel de l’économie de notre pays. En dépit de nombreux effets d’annonce, l’activisme du gouvernement ne s’est pour l’instant traduit par quasiment aucune avancée significative. On est très loin du compte, c’est ce que font apparaître en creux l’analyse et les propositions de Nabni. Pour le démontrer, le think tank algérien distingue à l’étape actuelle trois enjeux principaux.
Le premier est de rétablir des équilibres financiers et budgétaires qui étaient déjà fragiles avant la chute du baril et que la crise des marchés pétroliers a plongé dans des déficits abyssaux. Nabni propose d’abord de fixer un objectif de 65 à 70 dollars (contre plus de 100 dollars aujourd’hui) comme prix d’équilibre budgétaire en 2018. Ce ne sera pas simple. Il faudra geler les rémunérations et les transferts mais aussi différer beaucoup de projets d’infrastructures. Le « temps des arbitrages est arrivé » souligne le document de Nabni qui mentionne l’autoroute des hauts plateaux, le TGV Est-Ouest et se demande si le plan de développement des raffineries de Sonatrach ne serait pas surdimensionné. L’urgence dans ce domaine devrait être en revanche de compléter et de valoriser les investissements réalisés depuis plus d’une décennie.
Deuxième enjeu : La diversification de l’économie algérienne recherchée depuis un quart de siècle n’est toujours pas au rendez vous. En cause notamment, une industrie manufacturière qui ne pèse que 5% du PIB. On connait les réponses mises en oeuvre par le gouvernement. Une nouvelle vague d’investissements massifs dans les entreprises publiques et un partenariat international verrouillé grâce au 51/49. « Mauvais choix, entêtement dans des solutions qui ont déjà échoué » diagnostique Nabni qui préconise de geler le nouveau plan de renflouement des entreprises publiques. A la place, le collectif d’experts algérien propose à la fois réforme du mode de gouvernance des EPE, levée des obstacles à l’investissement, accroissement de l’offre de foncier industriel, suppression du 51 /49, abolition du CNI, reprise du processus de privatisation ….
La réforme de l’Etat est un autre chantier oublié par une gouvernance algérienne qui se montre décidément très satisfaite d’elle-même et de ses propres performances. C’est pourtant, sans doute, « la mère des réformes », commente le document de Nabni, qui précise qu’elle « prendra certainement plusieurs décennies ». Pour commencer à faire bouger les choses, le plan d’urgence recommande de réaliser rapidement un « bond de transparence » tous azimuts : sur les contrats de l’Etat « au dessus d’un milliard de dinars », leurs coûts, leur avancement, sur les états financiers des entreprises publiques, sur les subventions, etc.
Commencez à réformer
Il y a deux ans, le Premier ministre, M.Sellal, avait eu la bonne idée de recevoir longuement, et en écoutant attentivement, dit -on, les auteurs du rapport Algérie 2020. Il s’était pourtant trompé sur sa véritable portée .Il ne s’agissait pas d’un kit de « propositions concrètes » pour changer l’Algérie en quelques mois ainsi qu’il en avait fait la demande à ses invités. Le rapport Algérie 2020 du groupe Nabni était, et constitue encore à ce jour , une feuille de route à peu près incontournable pour n’importe quel gouvernement réformateur qui voudra assurer la transition de l’économie algérienne vers l’après pétrole au cours des 10 ou 15 prochaines années.
Le « plan d’urgence » aura-t-il plus de chance d’être entendu ? Quelle est aujourd’hui la capacité du pouvoir politique algérien à endosser et mener à bien des réformes économiques ambitieuses, mais en même temps absolument indispensables ?
Pour l’heure, le travail de Nabni peut de nouveau mettre la pression sur le gouvernement. Abda (commence), demande le document du collectif d’experts algériens qui souligne qu’en Algérie, les réformes économiques n’ont pas encore commencé.