Ne touchez pas à nos écrivains Par Abdou Semmar

Redaction

Du côté de Tizi-Ouzou, plusieurs conférences programmées ont été annulées coup sur coup. A priori, leur caractère culturel ne fait aucun doute puisque les démarches administratives et réglementaires ont été accomplies. C’est le cas précisément pour celle que devait animer Kamel Daoud à l’occasion de la sortie de son dernier livre « Mes indépendances », dont on sait qu’il regroupe des chroniques publiées dans le Quotidien d’Oran entre 2010 et 2016. Ce qui apporte la preuve qu’elles n’ont rien d’illégal ni de subversif puisqu’elles ont déjà été publiées, lues et commentées.

 

Le chef de daïra dans la wilaya de Tizi-Ouzou, en s’opposant de fait à la présence de Kamel Daoud, a prononcé un véritable oukaze à son encontre puisque cette interdiction n’a été accompagnée d’aucune justification officielle. Décidément notre meilleure plume provoque toujours des allergies et des soupçons de plus en plus évidents, consécutifs probablement à son succès planétaire. Voici donc venu le tour des lanceurs d’anathèmes après celui des lanceurs de fatwas.

 

L’auteur ferait donc peur à ce point ?

 

Au reste, quand bien même ne partagerait-on ni ses idées, ni ses analyses, ni ses fréquentations, en quoi cela empêcherait-il le débat ? Quand bien même ne serions-nous pas de son avis sur lecture de l’actualité, sur sa vision de l’évolution du monde, sur l’orientation ou l’absence d’orientation politique de notre pays, en quoi cela empêcherait-il la confrontation d’idées et le débat ouvert.

 

En réalité, nous souffrons toujours d’un handicap sérieux ; celui de confondre débat et pugilat, échange d’idées et échange d’insultes, comme s’il fallait qu’obligatoirement du débat sortît un vainqueur et un vaincu. Nous confondons bien souvent, adversaire avec ennemi, partisan et courtisan, contradicteur et opposant parce que tout simplement nous avons perdu le sens des nuances, alors que la langue arabe et la langue française ont ceci de commun qu’elles sont riches de la subtilité et de la polysémie de leurs vocabulaires.

 

Un conférencier est sollicité pour donner son avis, exposer ses idées, faire partager ses connaissances, explorer des domaines qui nous intéressent. On va l’écouter avec l’innocence de celui qui veut apprendre et la curiosité de celui qui veut savoir, mais jamais avec l’intention de gober tout ce qu’il va nous raconter. On ne va pas aux conférences pour se faire endoctriner. Dans ce cas, on parle de meetings, de réunions militantes ou de séances d’envoutement.

 

Or, on n’est pas du tout dans ces configurations et Kamel Daoud n’est ni un gourou, ni un nouveau prophète ni un illuminé. C’est un témoin de notre temps qui nous renvoie une image du monde et une image de nous-mêmes. Si cette image ne nous convient pas, on peut essayer de la corriger par le dialogue constructif et par une argumentation solide, mais on ne doit aucun cas accuser l’observateur ; en l’occurrence, le conférencier.

 

En d’autres termes, on ne guérit pas l’eczéma en brisant le miroir et on ne fait pas baisser la température en insultant le thermomètre.

 

Vouloir échapper à son image, n’est pas ce qu’on pourrait appeler une manifestation de courage et on a besoin du regard de l’autre pour mieux se connaître. Le seul préalable qu’il faudra poser c’est le droit d’exiger de l’observateur extérieur une totale objectivité et donc une entière indépendance vis à vis des groupes de pression ; à commencer par celui du Pouvoir politique. Ce sont des conditions somme toute objectives et réalistes qui présentent l’avantage de poser les bases les plus solides d’un débat ouvert et fructueux.

 

 

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