Non, les frères Kouachi ne sont pas mes Chouhadas ! Par Abdou Semmar

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Un extrémisme en produit toujours un autre. Et l’ignorance qui accompagne le fanatisme suscitera toujours encore davantage de fanatisme. C’est la leçon que l’on peut tirer ce vendredi à la suite de ces manifestations spontanées qui ont été organisées un peu partout à travers le pays. Des manifestations qui ont drainé des milliers d’Algériens.

Des milliers de nos concitoyens ont voulu donc dire et crier : «Je suis Mohamed». C’est leur droit le plus absolu de vouloir défendre ce qu’il leur semble une conviction religieuse qui leur est chère et précieuse. Nul ne peut remettre en cause le droit légitime de manifester dans les rues sa colère lorsqu’une croyance ou une sensibilité est attaquée. Qu’ils soient religieux, conservateurs ou islamistes, ces manifestants ont le droit de défendre pacifiquement leurs idées et leurs valeurs.

Malheureusement, ces manifestations n’ont pas été à l’abri des dérapages et certaines dérives ont discrédité ces initiatives citoyennes. Oui, des dérives inacceptables et intolérables. Des dérives, oui. Plusieurs manifestants ont crié dans les rues leur admiration pour les frères Kouachi, les deux terroristes qui ont abattu froidement 12 personnes à la Rédaction du Charlie Hebdo, la semaine passée à Paris. Certains manifestants sont allés même jusqu’à considérer ces deux criminels comme des «Chouhadas», à savoir des martyrs. Des martyrs de quoi et de qui ? Pas les miens en tout cas. Des millions d’Algériens peuvent partager cette indignation provoquée parce qu’on peut considérer comme une atteinte à la figure sacrée du Prophète Mohamed (QSSSL). Mais ces mêmes Algériens qui avaient connu les ravages du terrorisme abject durant les années 90 ne peuvent guère adhérer à ces appels à la haine et ce positionnement idéologique dangereux qui transforme, par la magie de la malhonnêteté, de simples bourreaux en «martyrs».

Ces manifestants qui ont crié aussi «le peuple et l’armée sont avec Daech» ne sont guère représentatifs de tous les Algériens. Mais ils demeurent Algériens.  Il ne sert à rien de faire preuve d’une opinion bien-pensante en niant cette réalité révoltante. Ils sont une minorité ? Peu importe. Lorsque des Algériens, jeunes inconscients ou fanatiques idéologues frustrés, sillonnent les rues de notre pays pour célébrer la mémoire d’assassins et de terroristes, ce sont toutes nos valeurs qui sont gravement insultées. Ce sont tous nos idéaux enseignés par notre foi humaniste et universelle qui sont souillés sous nos yeux. C’est aussi tout notre passé révolutionnaire écrit par des hommes et femmes morts pour notre liberté qui est foulé aux pieds.  Héroïser des terroristes, admirer des criminels, faire allégeance à l’obscurantisme de Daech, est une déclaration de guerre à la tolérance, la liberté d’expression, la paix et l’éthique.

   Ok, ces minables manifestants qui considèrent les frères Kouachi comme des «martyrs» ne sont pas représentatifs de mes compatriotes. Mais cette absence de lucidité dont ils souffrent cruellement renseigne bien sur la déliquescence intellectuelle de notre société. Une déliquescence qui illustre parfaitement les conséquences tragiques engendrées par l’autoritarisme de nos actuels dirigeants. Ces derniers ont tout fait pour faire taire la voix des esprits éclairés, empêcher les démocrates d’investir les lieux publics, verrouiller les espaces d’expression aux lectures modernes de l’Islam et de la gouvernance politique. Ce vendredi, le régime algérien a récolté ce qu’il a semé : un pan de notre jeunesse cède facilement au djihadisme stupide. Ce vendredi, quelques constipés du cerveau ont prouvé à nouveau qu’un pays fermé, gouverné par des décideurs abonnés au totalitarisme et hostile à l’alternance démocratique, peut produire les pires dangers. Oui, les frères Kouachi ne sont pas mes martyrs. Ils ne le deviendront jamais. Ne vous fatiguez plus. L’enfant des années 90 que je suis sait choisir ses martyrs…