Un ministre Algérien a été fouillé par des policiers français à l’aéroport parisien d’Orly. Et c’est le branle-bas de combat! Le tollé général! On crie au scandale, à l’humiliation. Mais laquelle au juste ? Celle d’avoir osé fouiller un ministre de chez nous et d’avoir contrôlé ses bagages. Quel sacrilège !
Un intouchable. Il ne faut pas toucher à un ministre de chez nous. En Algérie, un ministre, c’est toute une culture, complexe de privilèges. Une culture savamment codifiée que les étrangers, dans le monde entier, ne pourront jamais comprendre. On ne refuse rien à ministre algérien et il a le droit à tout. Par exemple, quand Hamid Grine est allé en France, où il a été « humilié », personne au gouvernement n’a expliqué les motifs de sa visite. Est-ce un déplacement officiel ? Loin, s’en faut. Une visite privée ? Un déplacement personnel financé par qui ? Avec quel argent ? Et que faisait exactement un ministre algérien à Paris alors qu’il avait du pain sur la planche ici même, notamment suite à la censure arbitraire exercée contre El Watan TV ? Est-il parti pour décrocher un contrat, convaincre un investisseur français de venir placer son argent dans notre pays ? Que nenni.
Personne en Algérie ne sait pourquoi Hamid Grine est allé à Paris. Personne ne sait, d’ailleurs, pourquoi toute notre classe dirigeante, y compris les ex-hauts responsables qui n’occupent plus aucune fonction, possède des biens immobiliers dans les quartiers les plus chics des villes de France. Sont-ils humiliés quand ils partent acquérir dans les conditions les plus obscures des appartements luxueux dans les quartiers les plus chics de Paris ? Sont-ils humiliés quand ils partent savourer la vie dans les bistrots parisiens ou les boutiques des Champs Elysées ? Sont-ils humiliés lorsque les banques françaises encaissent leur argent sans tenir compte de ce que dit la réglementation algérienne ? Connaissent-ils en fin de compte la véritable définition de l’humiliation ?
En 2015, un ministre algérien réduit l’honneur et la dignité à une simple fouille corporelle dans un aéroport français. Et pourtant, tous les citoyens du monde sont fouillés à Orly par mesure de sécurité. Au nom de quoi un ministre algérien doit-il se sentir supérieur à tous les voyageurs qui fréquentent cet aéroport ? Parce qu’il détient un passeport diplomatique ? C’est donc cela le secret de la supériorité d’un ministre algérien sur tous les autres êtres humains du monde ?
A Alger, loin d’Orly et ses fouilles, les citoyens algériens ne peuvent guère accéder à des plages de leur propre pays, à Moretti et au Club des Pins, parce que justement ils ne font pas partie de cette caste de « ministres supérieurs au reste du monde ». A Alger, loin d’Orly et des mains indiscrètes des pafistes, de nombreux Algériens ne peuvent passer des vacances dans certains sites de leur propre pays parce qu’ils n’appartiennent justement pas à cette classe des gens qu’il ne faut pas « fouiller ». Un peu partout en Algérie, des Algériens ne peuvent pas travailler, bénéficier d’un logement, occuper un terrain, bâtir une usine, parce qu’ils ne sont pas appuyés, épaulés et pistonnés par ces gens puissants que personne ne peut « fouiller ». Ces humiliations, Hamid Grine et ses copains du gouvernement, les connaissent parfaitement. Mais, ils les observent de loin.
Ils savent très bien que la France n’est pas une République bananière comme notre pays. La-bas, un ministre n’habite pas avec ses homologues dans des résidences ultra-surveillées auxquels le commun des Français n’a pas droit d’accès. En France, il n’y a pas de Melzi pour vous offrir ou, tant qu’à faire, vous vendre une carte d’accès pour vous baigner à Saint-Tropez. En France, quand un ministre voyage officiellement à l’étranger, c’est pour servir son pays. Il ne mobilise pas les moyens de son gouvernement pour passer des vacances ou aller boire un verre. Là-bas, un ministre rentabilise son voyage et décroche des contrats pour son pays. Quant à nos ministres, le retour sur investissement de leurs passeports diplomatiques est aussi nul que leurs bilans.
Récemment, une ministre française, Ségolène Royal en l’occurrence, s’est déplacée à Alger. Au cours de sa visite « officielle », elle est descendue dans les cafés d’Alger pour savourer un thé comme tous les Algériens. Elle n’a exigé ni dispositif protocolaire superflu, ni comité d’accueil aux petits soins. Si cette ministre française avait été fouillée à Alger, aura-t-elle évoquée une humiliation nationale ? Peu probable. Les Algériens n’aperçoivent jamais leurs dirigeants siroter un thé à la menthe dans leurs cafés. Cette idée n’effleure même pas leur esprit au regard des armadas qui accompagnent chacun de leurs déplacements. Aux Etats-Unis, de nombreux ministres et dignitaires étrangers ont été fouillés. Aucun de ces dirigeants n’en avait fait un scandale national. Les ministres algériens sont donc plus susceptibles que les autres ? Non, pas du tout. Ils sont juste plus accro aux privilèges que les autres.
Nos dirigeants ne veulent pas être dans le même collège que les autres êtres humains. Il n’y pas une seule catégorie d’Algériens en Algérie. Il y a les Algériens d’en-bas et les Algériens d’en haut. Et les Algériens d’en haut, avec leurs passeports diplomatiques, ont droit à tout. Même à celui de passer par le salon d’honneur quand un ministre est en visite privée dans un pays étranger.
La véritable humiliation, c’est cette culture des privilèges à laquelle « se shootent » nos dirigeants. Cette drogue semble les immuniser contre le « décalage culturel » lorsqu’ils se déplacent dans des pays différents de notre République bananière. En Europe, et dans les pays développés, un ministre est un être humain comme les autres. Ses privilèges constitutionnels, il ne les exhibe pas, ils ne les affiche pas, parce qu’ils ne font pas sa fierté. La fierté des dirigeants de ces pays, c’est de servir avec, droiture et humilité, leur pays. Des notions encore méconnues chez nous. Une ignorance crasse qui induit une humiliation de plus. Mais, celle-là, la caste au pouvoir en fait fi…