Noun. Entame d’un verset. « Noun, par le calame et par ce qu’ils tracent ». Dans les abysses de la mythologie, Noun est le poisson antique, à la source du monde. La Baleine/Arche, pour être précis. Celle qui représente à la fois le cosmos et l’utérus. Lieu de chute de Younès, de son affliction et de sa renaissance nu, sous un arbre, tremblant. Noun est aussi l’encre, la nuit céleste, la profondeur, la matrice. Le lieu primordial où se mêle le mot, le silence et le début. C’est, au tracé, la lune avec une étoile dans son creux, l’étoile du berger, vénus au dessus de l’horizon concave, l’arche par dessus les flots, l’oeuf du monde à venir après la mort. Sans fin. Fascinante lettre venue des écritures très anciennes où ne survivent plus que des images ténues.
Effet de zoom, du ciel vers la terre. Noun est désormais le signe tracé sur les portes des maisons des chrétiens d’Irak. Par les djihadistes de l’armée islamique de l’Irak et de Syrie, armée du Calife el Baghdadi. Patiemment, pendant qu’Israël trace sa frontière, que la palestinien perd la sienne, le Calife dessine son pays comme un mouton offert à son Dieu. Une partie de l’Irak, de la Syrie, de la Jordanie en attendant les autres terres de Dieu ou des régimes. Les maisons taguées de « Noun » sont vidées de leurs occupants qui sont chassés, ou sommés de payer la Djiziya ou convertis de force. Les monastères de plusieurs siècles sont envahis et vidés. Le drame se passe dans le dos du monde. Certains en Occident en alimentent le moulin de leurs peurs mais aussi de leurs détestations. D’autres d’indignent avec effroi de ce nouveau siècle et en appel à l’humanité, à l’aide et à la médiatisation pour stopper la rage noir. On se retrouve piégé entre propagandes et témoignages.
Le plus étonnant est surtout dans le monde dit « arabe » : silence quasi total. Les yeux braqués sur d’autres sangs. Le monde dit « arabe » s’est dévitalisé de ses élites, de ses richesses, de ses hommes et, en dernier, de ses diversités essentielles. Les clergés, les chouyoukh, les muftis et les élites religieuses ne disent rien sur cette tragédie. Les médias locaux aussi. Pas de condamnations ni de cris ou tellement peu. Et pourtant c’est un mal fou fait à l’universalité de leur foi. Un meurtre du sens. On ne peut pas prétendre à la fois proposer une vérité à l’humanité, parler de musulmans pourchassés et tués, d’islamophobie, de préjugés et d’exclusion, quand on se tait sur celle des autres, des siens, de des voisins et compatriotes, sous ses propres yeux. La justice est un bien indivisible. Ce silence sur le sort des chrétiens et des autres minorités religieuses dans le monde « arabe » le décrédibilise, le frappe de suspicion et l’écarte du droit de prendre la parole ou de réclamer justice au monde. Cela sera retenu contre lui et on sen servira. C’est aussi un désastre de l’économie, du sens et de la vitalité essentielle pour son retour à la vie. Les Djihadistes tuent, mais c’est le reste des opinions « arabes » qui enterrent les corps et les faits par l’indifférence à ce drame. Le meurtre de la diversité est le meurtre de l’altérité. Et il y a donc pire que d’être arabe en ce siècle, c’est être arabe chrétien, arabe bouddhiste ou arabe païen ou arabe sans religions ou arabe musulman tolérant.
C’est un détail que de parler de « Noun » pendant la guerre sur Gaza ? Non. Juste que les temps obscures s’entament généralement par les mêmes crimes. Quand on en arrive à ne plus s’émouvoir de la tragédie des uns, on ne peut pas prétendre être sensible à celle des autres sans provoquer le soupçon ou, du moins, le doute.
Passons. Noun est le tracé du siècle. Les pays sont désormais dessinés par la croyance, plus par leur histoire, leurs frontières. Dis-moi ce que tu crois, je te dirais qu’elle est ta nationalité. L’armée du Da’eche dessine un monde terrible, dans le dos des images terribles des autres guerres. Et ce silence des clergés est un crime et une complicité et le signe d’une acceptation de ce nouveau monde. Par rancune, par colère, par passiveté ou par ignorance, on accepte que cela soit et se fasse.
Etrange donc ce nouveau monde : à coup d’image, de hoax, de mensonges et de tag sur les portes. Nous sommes au fond de la baleine. Younes est l’histoire d’un homme qui a voulu fuir ses engagements et ses visions. Ils sombra dans les ténèbres et en sortit fragile et nu. Dans les mythes, cela désigne les temps noirs entre deux époques. On y est. Noun est un crime, pas une encre désormais. Cela signifie désormais Nasrani, nazaréen, unique secte connue des arabes à l’époque ancienne et qui en donna le nom à tous les chrétiens plus tard. Aujourd’hui, cela sert à voler des maisons, chasser les chrétiens d’orient et salir l’humain et désigner un silence criminel en « terres d’Islam ». Il fallait le rappeler en ces temps tristes car il s’agit d’un visage de notre humanité malmenée. A Gaza, comme en Irak ou ailleurs.
Etrange coïncidence : l’un des premiers mausolées dynamités par l’armée islamique de l’Irak a été celui du prophète Younès, à Mossoul.