«Nous avons besoin d’idées, de méthodes, de conceptions nouvelles», avait dit un jour Malcom X à ses partisans pour les convaincre que le combat pour la liberté et la dignité ne peut plus triompher à travers les méthodes classiques de la politique traditionnelle. Aujourd’hui, l’Algérie a plus que jamais besoin d’un Malcom X pour la réveiller de sa léthargie et la bousculer dans ses certitudes.
L’Algérie s’enfonce encore plus dans cette logique rentière qui lui faire croire que les portes du bonheur collectif vont s’ouvrir comme par enchantement en accélérant l’exploitation de toutes nos richesses minières et souterraines. Le dernier feu vert accordé par le Conseil des ministres présidé par Abdelaziz Bouteflika pour lancer l’exploitation du gaz de schiste dans notre pays prouve, une nouvelle fois, que nos décideurs manquent cruellement «d’idées, de méthodes et de conceptions nouvelles». Nos décideurs ont préféré encore recourir au sol plutôt qu’à leur cerveau pour développer un pays riche en potentialités humaines.
Le gaz de schiste est un grand danger pour l’environnement. Tous les spécialistes du monde le disent et l’affirment avec preuves à l’appui. Son efficacité économique n’a guère été encore prouvée. Les pays qui se sont lancés dans son exploration et exploitation comme les Etats-Unis d’Amérique subissent d’ores et déjà une tragique pollution. De nombreuses puissances mondiales qui maîtrisent la technologie nécessaire pour l’exploitation du gaz de schiste ont fait marche arrière à l’image de la France dont la législation interdit entièrement de lancer des travaux de prospection.
On savait depuis belle lurette que nos dirigeants se désintéressent entièrement de nos paysages et des joyaux de notre nature, mais se lancer dans la programmation systématique d’une destruction massive de notre patrimoine naturel est un crime contre la souveraineté de notre pays. L’histoire n’oubliera jamais cette dangereuse dérive où un système politique a délibérément choisi de transformer la moindre richesse de notre sous-sol en dollars pour soutenir la courbe de nos importations. Que va réellement apporter de nouveau l’exploitation du gaz de schiste ?
Encore des pétrodollars ? Mais l’Algérie en manque-t-elle réellement ? De nouveaux revenus conséquents dans les caisses de l’Etat ? Mais qu’a fait déjà cet Etat des revenus disponibles en ce moment dans ces caisses ? Sommes-nous devenus plus développés, plus puissants ou plus prospères grâce à nos pétrodollars ? Les Algériens sont-ils plus heureux grâce à leurs débordantes réserves de changes ? «La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes», disait le célèbre économiste Keynes. Le régime algérien est exactement dans ce schéma où il tente à chaque fois de se renouveler en empruntant les mêmes vieilles méthodes. Les mêmes vieilles recettes. Les mêmes vieilles idées pour donner l’impression qu’on sait gérer un pays. Ou du moins qu’on tente de le gouverner. Pas besoin donc de tracer des stratégies visionnaires pour bâtir une économie productive. «Le made in Algéria» va se contenter encore dans les années à venir du baril de pétrole, de la turbine de gaz et d’un bassin de gaz de schiste.
Le sous-sol, c’est le lieu de pensée de nos décideurs. A leur image, le pays n’arrive pas à émerger, à voir plus loin que le bout de son champ de pétrole. Pomper du gaz, du pétrole et le revendre, c’est le seul effort que l’Algérie peut se le permettre. Réfléchir à une nouvelle vision de son avenir économique, non cela est trop compliqué, ennuyeux ou demande une intelligence que nous ne voulons pas avoir. L’intelligence exige la liberté. La liberté exige l’émancipation de la société. Or ce danger n’est pas tolérable pour nos décideurs. Alors la terre qui t’a fait naître te donnera tes seules sources de revenus.
Mais attention, la logique rentière de nos élites dirigeantes n’est pas la seule responsable de la future catastrophe écologique et économique que préfigure l’exploitation du gaz de schiste. L’incapacité de la société civile de se structurer pour peser sur les grandes décisions de l’Etat algérien est aussi la tare tragique qui explique ce gâchis décisionnel. Cette absence prolongée d’une force de proposition au sein de notre société laisse libre cours à toutes les dérives politiques. L’échec d’une mobilisation autour d’un nouveau projet de gouvernance en Algérie expose l’avenir de nos enfants à des incertitudes périlleuses. Mais est-il trop tard pour réagir ? Non certainement pas car il est toujours temps de diffuser de nouvelles idées, de nouvelles façons de penser, de nouvelles méthodes de mobilisation, pour obliger nos vieilles élites à lâcher du lest et à remettre en cause leur vision rentière de notre avenir.