Ould Abbas, un chef-d’œuvre national à cryogéniser Par Sid Lakhdar Boumédiene

Redaction

Dans sa chronique précédente, Abdou Semmar crie au scandale des propos imbéciles qui provoquent la risée mondiale à notre égard. Moi, je propose d’immortaliser notre patrimoine national car il est un chef-d’œuvre de l’humanité. Les taxidermistes empaillent les animaux en voie de disparition, les conservateurs des musées protègent les tableaux, documents et autres œuvres  inestimables et certains Instituts stockent des archives audio-visuelles. Je propose donc de cryogéniser Ould Abbas pour l’histoire et la recherche scientifique des générations futures.

 

L’auteur a déjà publié un article en ce sens mais il lui semble qu’après les propos extraordinairement anthropologiques de l’individu, il se devait de l’actualiser pour proposer de nouveau la cryogénisation d’un trésor national. L’humanité avance et progresse. Elle n’a jamais été aussi libre d’esprit, riche et épanouie dans certains endroits de ce monde. Mais nous, nous nous spécialisons dans une espèce rare, extraordinairement figée et probablement très utile à étudier dans les siècles à venir. Raison pour laquelle il faut protéger notre patrimoine unique.

 

Des siècles de travail pour les anthropologues

 

Comme pour tous les grands phénomènes historiques et anthropologiques, les chercheurs ne cesseront de se chamailler sur les différentes hypothèses de leurs explications. L’énigme  persiste  particulièrement pour certains cas. Pour l’un d’entre eux, les archives numérisées aux formats du vingt sixième siècle ap.JC sont formelles sur l’authenticité des documents. Il a bien déclaré « Il est souhaitable que la présidence de la république soit à vie ».

 

Les médecins sont unanimes, l’étude des apparences morphologiques générales et les viscères ne laissent penser à aucune anomalie ni même à l’existence d’une infection virale qui aurait foudroyée l’individu d’un délire verbal. Quant à la civilisation de l’époque, les historiens persistent dans leur certitude et affirment que c’était le temps des premières sondes qui se sont posées sur des comètes, les connaissance scientifiques et technologiques de l’époque étaient très avancées. L’étude des fouilles archéologiques du territoire de l’individu ne laisse aucun doute sur une certaine modernité malgré le retard relatif.

 

Des psychiatres, psychologues et sociologues se lancent dans des hypothèses ardues car les paroles prononcées les intriguent. Les historiens leur avaient certifiés que si les présidents-dictateurs à vie de cette époque étaient nombreux dans certains territoires de la planète, toutes ont fait l’objet d’un coup d’État ou d’une guerre civile après que le titulaire du fauteuil ait voulu s’arranger avec la constitution. Mais jamais ils n’avaient été au courant de l’appel d’un homme politique dans ce sens. C’est un comportement curieux et intrigant, donc passionnant pour la science.

 

Les chercheurs ont dû confronter des éléments d’archives contradictoires. Notamment, ils sont sûrs que le personnage porte le qualificatif de « Docteur », un titre que l’on sait avoir été porté dans les temps anciens par les médecins ou dans certains « téléfilms du Moyen-Orient » de l’époque. On en a même retrouvé un autre que les archives historiques gardent précieusement car il signait ses écrits de « Professeur des universités, expert international ».

 

Les archivistes ont bien retrouvé un cas similaire qui a plébiscité une Présidence à vie inscrite dans une constitution, dans une contrée voisine de celle du personnage en question. Mais d’autres archives contredisent le propos car on a découvert depuis que s’était distillée mondialement l’idée erronée qu’il s’agissait du seul pays du monde arabe à avoir libéré les femmes et dont la démocratie leur était plus naturelle. On a même retrouvé trace d’un prix Nobel de la paix attribué à un collectif de citoyens. C’est une question anthropologique troublante car la majorité des autres archives laissent à penser qu’il n’y avait pas plus de démocratie dans ce pays que chez les voisins.

 

Comme pour Lucie ou la caverne de Lascaux, l’Algérie devrait faire attention à son patrimoine national. Elle a toujours semblé être soucieuse des vestiges romains mais elle devrait prendre le soin de la conservation de son histoire depuis 1962. La cryogénisation de Ould Abbas, le  moment venu, et l’attention particulière portée à l’archivage de ses propos historiques doivent être au premier plan de notre politique de conservation de la mémoire humaine.

 

An 2517, une visite au musée cryogénique

La scène se déroule en l’an 2517, cinq siècles exactement après que la société algérienne se soit débarrassée d’un régime autoritaire sous l’emprise d’un sigle à trois lettres, le FLN, et de ses nombreux petits avatars, RND etc., martyrs des collégiens pour les retenir tous en cours d’histoire ancienne. Au lendemain de l’indépendance, la communauté des historiens et des enseignants décidèrent d’un commun accord de trouver un financement de cryogénisation des députés et des dirigeants pour préserver le témoignage d’un passé si pédagogiquement utile.

La technique avait été mise au point quelques décennies précédent ce grand souffle de liberté. Ce jour de lundi du mois de novembre 2517, des écoliers visitent le musée où sont exposés les corps de ces curieux ancêtres dans un décor scénarisé afin de se projeter dans la vie politique quotidienne des années deux mille.

«Mais pourquoi ne les a-t-on pas ressuscités comme les autres ?», demande une écolière à son institutrice. Celle-ci répond que cela avait été fait pour ce groupe, comme pour tous les autres puisque la technique actuelle le permet, mais ils se révélèrent si particuliers et dangereux qu’on les replongea dans le sommeil de l’éternité.

« Ils se sont mis curieusement à déambuler dans les rues de la ville et à proférer des mots incompréhensibles et menaçants » dit l’institutrice. Des mots comme « la révolution, les chouhadas, la patrie, mon compte offshore, ma Q7 et ainsi de suite » en boucle, toute la journée et sur un ton qui a fait craindre aux passants un lâcher de personnes atteintes de démence.  Et de rajouter que certains se sont précipités sur des femmes pour les molester et les insulter à propos de leur indécence vestimentaire dans un lieu public. Ce n’était plus possible, pour des raisons de sécurité publique, de continuer l’expérience. Il était urgent de les cryogéniser de nouveau.

Mais le plus curieux des ressuscités, c’est celui là, montre le doigt de l’institutrice, dirigé vers un homme  dont l’état ne semblait pas être très vigoureux, assis sur un engin dont on ne perçoit pas exactement la fonction. A une époque moderne où les handicaps moteurs sont définitivement résolus par les micro puces, un panneau de l’exposition, que n’avaient pas lu les enfants, indiquait qu’il s’agissait d’un appareil antique de motricité à roues.

« Dès son réveil, comme le font les tortues marines naissantes, il s’est instinctivement dirigé vers le palais de notre gouvernement et a exigé sa reddition et sa soumission ». On a du immédiatement le remettre dans la machine à cryogéniser, l’homme n’avait manifestement pas l’intention de servir à autre chose qu’à diriger fermement la société. Depuis, on s’est rendu compte à quel point il était dangereux de vouloir redonner vie au passé et on a décidé de laisser la rusticité des êtres humains anciens à sa seule destination possible, la leçon pédagogique dans un musée.

L’institutrice montra un autre homme exposé en expliquant aux élèves que pour celui-ci, on n’a pas très bien compris ce qu’il disait et que des études étaient en cours. Elle leur expliqua qu’il avait eu l’idée d’une « Présidence à vie ». Les jeunes élèves se retournèrent l’un vers l’autre, ébahis  par une telle réponse qu’ils ne comprenaient pas. Mais c’était il y a cinq siècles, se réconfortaient-ils !

Puis, subitement, un cri de l’institutrice résonna comme un coup de tonnerre dans la salle. Furieuse, elle venait encore une fois de se rendre compte de l’attitude du plus perturbateur de ses élèves, un de ceux qui vous rendent le métier difficile et qui vous causent autant de tourments que mille autres réunis.

Et d’une voix forte et colérique, elle lui dit «Saïd, je t’ai dit mille fois d’arrêter de tyranniser tes petits camarades !». Et de rajouter «nous savons très bien que le vieux monsieur exposé sur son fauteuil est ton aïeul, tu nous l’as tellement répété. Mais nous ne sommes plus au temps des anciens népotismes des années deux mille, mets toi dans les rangs, tais-toi et prends leçon de la visite !».

 

SID LAKHDAR Boumédiene, Enseignant

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