Mari Simonne, tu avais fui ton pays, le Cameroun, en espérant trouver en Algérie la sécurité, la paix, un refuge et un remède contre la misère. Simonne, tu avais choisi de t’exiler dans mon pays parce que tu avais certainement entendu parler de la générosité de son peuple, de l’héroïsme de sa population, laquelle a consenti d’innombrables sacrifices pour se libérer du joug colonial. Tu avais lu dans les livres d’histoire le courage de ces Algériens qui ont dit non à une puissance universelle comme la France pour retrouver leur liberté.
Simonne, tu avais entendu parler de cette Algérie qui avait, naguère, soutenu matériellement et financièrement tous les mouvements de libération sur le continent noir. Tu avais longtemps admiré ce pays qui accueillait à bras ouverts les leaders de tous les mouvements indépendantistes africains des années 60 et 70. Simonne, on t’avait dit que l’Algérie est un beau pays, riche de son pétrole, mais aussi de ses valeurs. Une société musulmane qui érige l’hospitalité en valeur sacrée. Une société diversifiée, millénaire, qui ne ferme pas ses portes à l’étranger, qui ne le rejette pas parce qu’il est pauvre ou de couleur de peau différente.
Mais lorsque tu es venue en Algérie, tu as découvert un autre pays qui n’avait absolument rien à avoir avec ce que tu avais lu ou entendu. A Oran, où tu t’étais installée pour refaire ta vie en compagnie de ton mari, c’est une société raciste, xénophobe, allergique à l’étranger, notamment à l’Homme noir, que tu as découvert. Dés tes premiers jours dans notre pays, tu étais insultée, agressée, méprisée jusqu’à ce vendredi 2 octobre à 23h, où sept hommes sexuellement frustrés, esclaves de leurs bas instincts, t’ont enlevée, t’ont rouée de coups et t’ont violée, à tour de rôle, derrière le parking d’une grande cité populaire d’Oran. Aucun de ces Algériens « héroïques », tels que les livres d’histoire les décrivent, n’a daigné intervenir pour te délivrer des griffes de ces bêtes immondes.
A l’hôpital, on a refusé de te soigner. A la brigade de gendarmerie, on a méprisé ta plainte. Pourquoi ? Parce que tu es noire et chrétienne. Ce n’est pas celle-là l’Algérie dont tu avais rêvé. Ce n’est pas de ces Algériens racistes, violents et criminels dont tu avais tant entendu parler.
Je ne t’écrit pas aujourd’hui pour remuer le couteau dans la plaie. Je t’écris pour te demander de nous pardonner. Pardonne-nous Simonne. Pardonne-nous parce que nous les Algériens, ceux et celles qui croient en la fraternité entre tous les peuples du monde, en la tolérance, au respect de l’autre et en la défense des droits des étrangers, sommes indignés, scandalisés, bouleversés et profondément blessés par le tragique sort que ta réservé une partie de notre société. Quelques Algériens infâmes ont piétiné nos valeurs, notre histoire, nos croyances pour s’en prendre à toi et souiller ta dignité. Pardonne-nous de ne pas avoir été là cette nuit-là pour te secourir. Pardonne-nous pour ne pas avoir été là pour remettre à sa place ce gendarme qui t’avais méprisée parce que tu n’étais pas musulmane. Pardonne-nous pour toute cette indifférence, cette intolérance et ce racisme qui ne ressemble nullement à notre personnalité. La vraie. Pas celle que tu constates chez ces jeunes égarés, errants dans nos rues, livrés à leurs frustrations, victimes de cette névrose collective provoquée par la faillite générale de notre système politique et social.
Pardonne-nous de ne pas avoir été à la hauteur de tes espérances. Des tes attentes et rêves. Pardonne-nous de ne pas avoir pris soin de toi, de ne pas avoir été capable de t’accueillir comme le dicte notre histoire millénaire et nos valeurs ancestrales. Pardonne-nous pour tout Simonne. Nous te promettons que nous allons tout faire pour qu’il n’y ait plus jamais de « Simonne » violée, battue et torturée juste parce qu’elle est une femme, une noire, une chrétienne.