Police religieuse: Sommes-nous à l’abri du modèle saoudien?

Redaction

La scène se passe à Jeddah en Arabie saoudite, dans un grand centre commercial. Deux couples attablés à un café sont abordés par deux hommes en tenue militaire. Deux types bedonnant dont l’un d’eux désigne de son stick la tête blonde d’une des deux dames. J’ai du intervenir pour traduire en anglais les grognements en arabe saoudien de l’homme en tenue militaire. Il intimait à la dame blonde l’ordre de couvrir sa chevelure. Les deux agents appartenaient à la « Muttawa’a » ; police religieuse, chargée de « la promotion de la vertu et de la prévention du vice ». Rien que ça ! Parce que j’ai pris le temps d’expliquer aux deux couples, des résidents danois travaillant depuis peu dans un complexe pétrochimique, la mission de cette police religieuse, j’ai eu droit à des réprimandes. Ne comprenant pas l’anglais, les deux vigiles ont du imaginer que j’avais assorti mes explications de commentaires désobligeants à leur égard.

 A propos de « Promotion de la vertu et prévention du vice », formule présente dans plusieurs versets du Coran, la traduction la plus correcte serait « imposer la vertu et dénoncer les actions blâmables (el mounkar)». Cela dit, fallait-il pour cela créer une police religieuse avec des patrouilles chargées de traquer les femmes mal voilées, de saisir les CD ou les DVD importés d’Occident, de veiller à la fermeture des commerces aux moments de la prière, à la tenue vestimentaire des passants etc.., bref à surveiller la vie privée des gens ? Les Saoudiens ont choisi cette voie. C’est leur affaire. Charbonnier est maître chez soi.

 Pour ce qui nous concerne, convaincus que nous n’avons pas grand chose de commun avec eux, que nous avons une conception totalement différente du libre arbitre et que nous sommes héritiers de traditions qui nous mettent à l’abri de ce type de contagions, nous regardons cette police religieuse d’un air amusé, un peu hautain il faut l’avouer, persuadés que ça n’arrive qu’aux autres. Et c’est là où précisément nous commettons les erreurs les plus fatales parce que le ver est dans le fruit depuis longtemps.

 Cette police pourrait-elle exister chez nous ? La réponse est oui…si:

 – Si on continue à interpeller de jeunes provocateurs rompant publiquement le jeûne du ramadhan, non pas pour trouble à l’ordre public et provocation grossière, mais pour non-respect d’une prescription religieuse, confondant de la sorte, justice de Dieu et justice des hommes.

– Si on continue à fermer les bars, pourtant réduits à quelques tavernes blindées, visitées à la tombée de la nuit par de rares silhouettes pressées, coupables de déficit en bondieuseries apparentes.

 – Si on continue à faire la chasse aux jeunes filles qui ne s’habillent pas selon « la norme ».

– Si on continue à conditionner l’aide au mariage à l’aval d’un comité attestant de l’accomplissement régulier des cinq prières quotidiennes.

– Si on continue à laisser un téléprédicateur suggérer l’exécution d’un écrivain dont il ne comprend pas l’écriture.

– Si on continue à laisser ce même prédicateur prononcer la même sentence contre une artiste, trop provocatrice à ses yeux.

– Si on continue à obliger les femmes à se baigner habillées, de noir de préférence, sans aucun égard pour les poissons qui brusquement effrayés risquent de prendre le large.

– Si on continue à laisser pousser à fond les haut-parleurs à la prière du fajr.

– Si on continue à interdire aux non-musulmans de se restaurer durant le ramadhan.

– Si on continue à invoquer Dieu, seulement quand ça nous arrange.

– Si on continue à se croire investis par Dieu pour « imposer la vertu et dénoncer le vice ».

 Il faudrait, pour prétendre à cette mission hors-norme, être soi-même un modèle de vertu. Ce à quoi aucun homme ne peut prétendre et du reste en Islam, il n’y a pas de vicaire de Dieu sur terre. Cela nous conforte dans l’idée que cette police religieuse est une véritable imposture. Si elle a pignon sur rue aujourd’hui en Arabie Saoudite, cela tient à la nature même du régime politique en place, et peu nous importe à vrai dire de savoir ce qu’en pensent les Saoudiens.

 La seule chose qui nous importe c’est d’observer la plus grande vigilance vis à vis du risque d’implantation de cette police religieuse chez nous. Le risque est réel. Il y a des signes qui ne trompent pas et notre réaction devant ces intrusions périodiques dans notre quotidien, a valeur de test pour les officines installées chez nous, et grassement payées pour modifier en profondeur nos structures sociales et familiales. Tout cela, bien évidemment, au nom d’un islam dont ils sont les seuls à détenir les clés d’une lecture très particulière et largement subversive, qui a déjà fait des ravages incommensurables dans l’Algérie profonde, et qui doit nous faire craindre le pire si nous n’y prenons garde.

 Aziz Benyahia