Pourquoi ne vont-ils pas imposer la «pudeur» à Moretti et Club des Pins ? Par Abdou Semmar

Redaction

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Les chevaliers de la « hachma » (la pudeur) en Algérie ont désormais un nom : la «fédération des comités de quartiers côtiers». C’est ce nouveau «collectif citoyen» qui va nettoyer nos plages des mauvaises mœurs. L’ambition est assumée publiquement. Le combat est présenté comme noble et honorable. Dans les colonnes d’une certaine presse arabophone d’obédience islamiste, les initiateurs de ce projet affirment même qu’ils vont collaborer avec les autorités.

 Les autorités auraient concédé leur accord de principe pour aider les jeunes de ces comités de quartiers dans leur croisade contre la «drague des jeunes» et les violations répétitives des espaces familiaux aménagés sur les plages. Là, les filles vêtues de maillots de bain jugés sexy ou «occidental» ne sont guère les bienvenues parce qu’elles attentent aux bonnes mœurs. Contre ces «fléaux», des milices de jeunes, prétendument bien éduqués, vont être déployés sur les plages populaires telles que celles de Bologhine et Hammamet, dans la banlieue ouest d’Alger où cette idée a germé. Oui, les plages populaires, celles des « zawaliya » seulement. Et non pas Moretti et Club des Pins. Surtout pas Moretti et Club des Pins. Pourquoi ? Parce que ces plages ne sont pas considérées comme des plages d’après la conception des initiateurs de ce projet de défense de la pudeur nationale.

Des initiateurs issus, comme par hasard, des milieux conservateurs de certaines mosquées algéroises, nous apprend la même presse dévouée à ces combats. Des imams ont été associés à ce projet de sauvegarde des bonnes mœurs pour superviser les jeunes gardiens de la morale religieuse. Oui, religieuse, puisque la morale, la vrai, équivaut forcément à la religion dans les esprits de ces sauveurs autoproclamés de notre pudeur nationale.

Mais, bizarrement, ces gardiens de la morale promettent uniquement d’écumer les plages des quartiers populaires. Pourquoi ils ne vont pas imposer la pudeur à Club des Pins et Moretti ? Ah, dans ces plages privatisées par l’Etat, le régime, la morale religieuse ne s’y applique pas. Dans ces plages, où les généraux les plus influents de l’armée algérienne habillent les femmes comme bon leur semblent, nos valeureux conservateurs n’y voient la nécessité d’aucune campagne. Contre ces plages quadrillées par des gendarmes, policiers et paramilitaires en Kalachnikov, les religieux allergiques aux affriolants maillots de bain deux pièces ne prononcent aucune fatwa. Pas le moindre prêche contre l’appropriation de ces plages par les anciens ou actuels dirigeants. Visiblement, ces derniers qui se la coulent douce dans des bungalows luxueux financés par l’argent du contribuable algérien, sont au-dessus de la morale religieuse de nos conservateurs gardiens de la vertu.

Ces gardiens du temple morale ne bombent le torse qu’avec les pauvres zawalis, issus des classes populaires les plus martyrisées par les injustices et la misère sociale. Les conservateurs de la fédération des comités de quartiers populaires s’attaquent uniquement aux familles modestes que personne ne protège. Les puissants, les maîtres de Club des Pins et de Moretti, eux, sont à l’abri de la bonne conduite religieuse et des directives islamiques. Face aux puissants, nos conservateurs zélés baissent la tête et font profil bas. Les bikinis des femmes des dirigeants ne préoccupent pas nos gardiens de la morale parce que ces derniers n’ont pas le courage d’affronter le système. Ils n’ont pas le courage de le contester ou de remettre en cause ses privilèges.

Les non-jeûneurs d’Akbou ou d’un autre insignifiant petit village de Kabylie, on les accable, on les insulte, on appelle à leur emprisonnement, mais les non-jeûneurs du cercle militaire de Béni-Messous, de Club des Pins, de Moretti ou des hôtels prestigieux comme le Hilton ou le Saint-Georges, on n’ose même pas prononcer leurs noms. Une morale religieuse à deux vitesses. Une pudeur que l’on impose uniquement à l’Algérie d’en bas. Et on pardonne tous les péchés à l’Algérie d’en haut.

«La lâcheté rend subtil», avait dit un jour l’écrivain roumain Cioran. En Algérie, au sein de nos conservateurs et gardiens de la morale, la lâcheté rend hypocrite.