Coup sur coup, en une semaine, et sans être tout à fait sortis du traumatisme de Ghardaïa, on apprend avec effarement, que ce sont nos propres enfants qui nous menacent de cataclysme.
Cela avait commencé par l’appel lancé par un prédicateur algérien Mohamed Hamen sur la chaîne saoudienne Iqra. Il préconise l’extermination des Ibadites parce que ce sont les «ennemis de Dieu». Il décrète la mort publiquement, impunément, comme l’avait fait, il y a quelques semaines, un de ses acolytes au sujet de Kamel Daoud Que croyez-vous qu’il arriva, après les deux appels au meurtre ? Rien !
Cela s’est poursuivi avec la diffusion sur les réseaux sociaux d’un message appelant à liquider les Ibadites, déclarés là aussi ennemis de l’islam. Mr Ahmed Seqlab, à peine frais émoulu d’une formation en Saoudie, ne prend pas de gants pour nous mettre en garde et nous menacer de tous les châtiments.
Aujourd’hui, c’est un autre jeune algérien qui s’exprime au nom de Daesch sur les réseaux sociaux et qui nous promet une guerre inextinguible et l’apocalypse, si nous ne revenons pas sur le droit chemin. En fait, ils sont trois camarades à nous transmettre le message : Abou Hafs, Abou Abd El Barr et Abou Dherr. Ce sont nos propres enfants. Ils sont nés chez nous.
Pour les trois exemples, on a beau faire la part de la propagande, de l’esbroufe, de l’amateurisme ou tout simplement de la mission aveugle en service commandé, on ne peut pas ne pas être sidérés par la métamorphose de nos jeunes enfants. Cette attirance morbide pour la mort, ce nihilisme qui ne repose sur rien, et cette outrance qui cache en réalité une grande angoisse, ne peuvent être le fruit du hasard ni de l’accident imprévisible. Comment un enfant de Boudouaou devient despérado ? Comment un enfant de Berriane déclare qu’il faut exterminer ses voisins immédiats ? La lente maturation de ces jeunes n’est pas le fait du hasard. La décennie noire nous en avait donné plus qu’un avant-goût ; les salafistes et Daesch ont achevé de nous édifier sur la détermination de ces « soldats perdus ».
En Occident, on met tout cela sur le compte du «Jihadisme». C’est l’islam, versus réalité; l’islam porteur de violence et décidé à en découdre avec l’Occident grâce à des hordes sauvages qui n’auront de cesse de se faire exploser pour faire triompher «le message d’Allah». Voilà un peu comment est perçu l’islam. C’est commode, facile à comprendre et très confortable comme raccourci. Même leurs observateurs les plus honnêtes et leurs meilleurs spécialistes ne sont pas arrivés à comprendre ce qui fait basculer cette jeunesse dans une telle violence. Ils se tournent vers nous pour en savoir plus. Il s’agit de nos enfants, somme toute. Sommes-nous en mesure de comprendre avant de les aider à comprendre ? Objectivement non.
On peut bien sûr dérouler la litanie des raisons bien commodes, mais vraies cependant: le mal de vivre, les inégalités sociales, l’absence de visibilité, le doute sur leur avenir, le retard flagrant des pays musulmans, nos sociétés archaïques, les combats d’arrière-garde, le rêve andalou, le népotisme, l’absence de démocratie, la promesse du retour au Moyen-âge, le sort de la femme et surtout une terrible montagne de frustrations.
Bien entendu, cela fait beaucoup pour de frêles épaules, que des mains bien préparées viennent aider au moment opportun, grâce aux moyens illimités des fondamentalistes et à leurs chevaux de Troie disséminés dans tous les pays musulmans.
En Algérie, nous sommes doublement responsables
D’une part, parce que nous avons payé très cher pour apprendre (200 000 morts et dix ans d’enfer) et que nous n’avons tiré aucune leçon de cette tragédie. D’autre part, parce que le pouvoir laisse faire même lorsque l’ennemi s’exprime en plein jour et qu’il ne fait même pas mystère de ses objectifs : déstabiliser le pays tout simplement.
Ne fallait-il pas frapper très fort et tout de suite ? Non pas qu’il soit simple et facile de répondre aux attentes de millions de jeunes, mais parce que le pouvoir a cru longtemps, par flemme ou par inconscience, que l’argent facilement distribué arriverait à contenir un phénomène aussi complexe et aussi déroutant. Le tonneau des Danaïdes vient de montrer ses limites et son inefficacité.
Et quand bien même, on déciderait brusquement interpeller publiquement cette jeunesse, de lui offrir une tribune pour s’exprimer, de l’aider à se reconstruire et à se préparer pour la relève, il semble très peu plausible que nos enfants acceptent d’effacer, comme par enchantement, les années d’errance du pouvoir, le pillage systématique, les malversations qui alimentent quotidiennement nos médias, l’impunité incompréhensible et surtout une politique économique déboussolée, sensible au moindre éternuement du baril.
En d’autres termes, en vertu de quoi ils accepteraient brusquement de croire que le pouvoir reviendrait brusquement à de meilleurs sentiments, qu’il ferait brusquement son méa culpa et qu’il déciderait brusquement de récupérer l’argent détourné, de punir les voleurs, et de commencer à ouvrir les portes du palais ? Ils ont le droit d’en douter. C’est le résultat de longues années de laisser-faire durant lesquelles le Pouvoir a choisi la carotte au lieu du bâton. Ou de manier les deux.