Ce n’est plus un club. Ce n’est plus un coin de villégiature. Ce n’est plus une station balnéaire. C’est tout un territoire qui se place au-dessus des lois algériennes. Ou plutôt un territoire doté de ses propres lois. Un territoire transformé en une véritable principauté. La principauté de Moretti et de Club des Pins. Nous en avons parlé à deux reprises. Nous avons esquissé les grands traits de l’opacité et du manque de transparence de la gestion de cette résidence d’Etat du Sahel.
De son budget obscur aux privilèges de ses locataires, Club des Pins évoque aujourd’hui l’inégalité, le scandale, la suspicion et l’injustice. Oui l’injustice, car Club des Pins appartenait auparavant à tous les Algériens. C’est sous l’ombre de ses « pins » que le légendaire Inspecteur Tahar a commencé sa fameuse tournée estivale avec son « apprenti » pour nous faire pleurer de rire. Le Club des Pins, c’est le patrimoine de tous les Algériens qui y allaient passer de belles journées de farniente sur sa plage de sable fin. Pendant les années 70 et 80, le Club des Pins et Moretti, étaient des lieux populaires fréquentés par le commun de mortels. Ces sites abritaient les amours, les passions, les émotions et le bonheur des Algériens, fiers, qui savouraient la vie dans leur joyeux pays, grâce à son indépendance conquise après tant de douleurs.
Le Club des Pins n’est ni Hawaï ni Tahiti, mais, c’était notre paradis à nous. Un joyaux qui nous a été enlevé, volé et confisqué par une Nomenklatura paranoïaque, si méfiante vis-à-vis de la population, qu’elle décida de s’enfermer dans une zone ultra-surveillée.
Et pourtant, ce peuple que nos dirigeants fuient est le même qu’ils bernent, chaque jour, avec des promesses jamais tenues. Ce peuple qu’ils méprisent au point de lui enlever sa propre plage est le même que celui qu’ils accablent avec leur mauvaise gouvernance. Ce peuple qu’ils chassent des alentours de leurs villas, appartements et bungalows est le même qu’ils punissent avec le sous-développement le plus abject.
Les Algériens sont mal-élevés, délinquants, infréquentables et pollueurs. C’est le reproche que les fils et filles de notre nomenklatura raffinée répètent à longueur de journée, pour justifier leur vie à huis-clos, à l’abri des regards, mais aussi et surtout, de tout contrôle. Si ce peuple est vraiment mal-élevé, que nos dirigeants bâtissent des écoles de qualité pour l’éduquer. Si ce peuple est pollueur, que nos dirigeants montent au créneau pour donner l’exemple et imposent le respect de l’environnement. Les Algériens ne sont pas des extra-terrestres. Ils ont une âme, une sensibilité et un cerveau. Les dirigeants algériens ont longtemps entretenu le mythe d’un peuple dangereux qu’ils doivent gouverner avec la « sécuritocratie » la plus brutale. Le Club des Pins est le fruit de cette pseudo-philosophie politique.
Des millions d’euros sont dépensés dans la gestion de cette résidence d’Etat, dans une opacité totale. Personne ne veut expliquer aux Algériens pourquoi des anciens dirigeants et leurs familles y résident encore, aux frais du contribuable algérien. Pourquoi Noureddine Yazid Zerhouni dispose toujours d’un logement au Club des Pins alors qu’il n’occupe plus aucune fonction officielle ? Pourquoi Abdelaziz Belkhadem occupe encore un chalet dans cette résidence ? L’ancien ministre de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia y réside aussi. Mourad Medecli, l’actuel président du conseil constitutionnel, dispose, selon nos informations de deux maisons. Et dans quelle condition la famille du défunt président Chadli Bendjedid s’y est offerte une villa ? Comment Ahmed Ouyahia a, lui aussi, acquis sa villa ? Le nombre des hauts gradés militaires qui possèdent des demeures à Moretti et au Club des Pins est tout simple effarant. Du Général Toufik aux Colonels Farouk Chetibi, Zrigui Kamel (dit Chergui), Hamou sans oublier les Mehenna Djebar et d’autres anciens dirigeants du DRS, en passant par le général Betchine, y élisent domicile, avec au moins une villa. Pourquoi eux et pas les autres Algériens ?
Des questions rien que des questions. C’est notre droit absolu de connaître la vérité sur ces privilèges. Pourquoi un médecin, un entrepreneur, un ingénieur algériens ne peuvent pas y habiter ? Sont-ils moins algériens que les dirigeants politiques ? Ou l’algérianité de ces dirigeants est-elle plus frappée du sceau de la noblesse ou de la supériorité ? Les seuls « intrus », tant est qu’ils le soient, sont certains richissimes hommes d’affaires proches du régime, qui ont pu acquérir des biens immobiliers dans ce haut lieu de l’establishment algérien.
Le terrorisme est officiellement vaincu. Il est désormais qualifié de « résiduel ». Pourquoi alors continuer à se réfugier dans cette résidence ultra sécurisée ? Quel danger encourent ces dirigeants s’ils reviennent vivre avec leurs familles parmi leur peuple ? Nous sommes en 2015 et l’Algérie demeure gérée par un classe dirigeante qui ne partage ni ses soucis ni ses misères. Comment peut-on bâtir ensemble un pays si on construit des murs de séparation ?
« Dirigez depuis l’arrière et laissez croire aux autres qu’ils sont à l’avant », avait dit un jour Nelson Mandela à ses conseillers, lorsque ces derniers doutaient de sa capacité à fédérer les Sud-Africains. Il est temps que les dirigeants algériens s’inspirent de ce modèle. Une véritable élite ne s’isole pas dans un club. Elle affronte la dure réalité et les contradictions de sa société pour la changer, la transformer. Rendez-nous le Club des Pins et assumez enfin vos fonctions. Et cessez d’avoir peur de ce peuple!